Afrique du Sud : l’ambition présidentielle de Mme Dlamini-Zuma va-t-elle faire exploser l’ANC ?
Afrique du Sud : l’ambition présidentielle de Mme Dlamini-Zuma va-t-elle faire exploser l’ANC ?
Par Jean-Philippe Rémy (Johannesburg, correspondant régional)
L’ex-femme du président Zuma est redevenue députée du parti au pouvoir. La première étape d’un chemin semé d’embûches vers les élections générales de 2019.
L’affaire a été menée dans la plus grande discrétion possible, derrière des portes fermées. Après avoir prêté serment, jeudi 21 septembre, Nkosazana Dlamini-Zuma est redevenue députée du Congrès national africain (ANC) au Parlement d’Afrique du Sud. Petites causes, grands effets escomptés, ce retour au sein du groupe ANC ouvre la voie, potentiellement, à sa réintégration dans le gouvernement, ce qui aurait ensuite pour effet de lui donner plus de poids dans le cadre de la campagne en vue d’une victoire au sein de l’ANC, puis, en mai 2019, aux élections générales.
Mais, entre le serment de jeudi dans le bureau du Parlement, et le serment prêté devant Union Buildings (présidence), à Pretoria en 2019 pour devenir chef de l’Etat, il reste du chemin, et pas mal d’embûches. La première partie de l’enchaînement attendu de la part des partisans du président Jacob Zuma devrait voir triompher la candidature de son ex-femme, Nkosazana Dlamini-Zuma lors de la conférence nationale de l’ANC en décembre, avec pour effet attendu de protéger l’actuel président de possibles poursuites judiciaires, tout en garantissant à ses obligés une continuité sur le contrôle des ressources de l’Etat.
« Le coup de grâce à l’alliance tripartite »
Mme Zuma a gravi la première marche de cette ascension. La seconde consiste à se voir réintégrer le gouvernement. Il n’y aurait rien d’extraordinaire à ce qu’elle y reprenne des responsabilités. Avant de partir prendre la tête de la Commission de l’Union africaine, en 2012, elle a été ministre en Afrque du Sud à plusieurs reprises, à la tête des affaires étrangères, notamment, ou encore des affaires intérieures (où elle s’est attirée le plus d’éloges, contrairement à son passage à la santé au temps de Thabo Mbeki et du déni d’Etat de l’existence du sida).
Pour lui faire une place au Parlement, une figure secondaire de l’ANC a été brusquement poussée dehors. Pour lui ouvrir les portes du gouvernement, il faudra un remaniement, et cette perspective risque d’avoir des effets induits plus difficiles à contrôler. Car la manœuvre devrait se doubler d’une forme d’épuration interne, consistant à pousser tous les anti-Zuma hors du cabinet. L’ANC est déchirée par une bataille entre factions, qui jusqu’ici voyait s’opposer les pro-Zuma (soutenant la candidature de l’ex-épouse, Nkosazane, pour défendre Jacob Zuma), contre les partisans du vice-président, Cyril Ramaphosa.
Ce dernier fait campagne pour présenter, lors de la conférence de décembre, sa propre liste de six dirigeants (qu’on appelle « l’ardoise »). En cas de remaniement, il pourrait être démis de ses fonctions, et se retrouverait privé des moyens de l’Etat pour poursuivre dans cette voie, laissant en théorie le champ libre à Nkosazana Dlamini-Zuma.
Mais dans le même mouvement, le Parti communiste d’Afrique du Sud (SACP) serait également poussé dehors. « Cela risque de donner le coup de grâce à l’alliance tripartite [ANC-SACP-centrale syndicale Cosatu, au pouvoir depuis 1994], mais tout cela est déjà mort, ce ne sont plus que des coquilles vides », affirme Raymond Suttner, un membre historique du SACP qui a quitté le parti au temps de l’affaire de viol impliquant Jacob Zuma (quand le parti l’avait soutenu envers et contre tout). Il y a donc un risque d’implosion à la fois de l’ANC et de l’alliance tripartite qui, depuis l’instauration de la démocratie multiraciale, a été le pilier du pouvoir en Afrique du Sud.
Une fébrilité évidente gagne donc le parti de Nelson Mandela de jour en jour. D’abord, des sondages réalisés ces derniers mois ont donné pour la première fois l’ANC sous la barre des 50 % lors des élections générales de 2019. En raison des scandales de l’ère Zuma et de la frustration croissante de la population, l’ANC pourrait perdre le pouvoir. Une étude d’Ipsos sur le sujet affirme que ces résultats sont « trop éloignés de la date du scrutin pour donner une indication fiable », mais un tabou est tombé. Mmusi Maimane, le responsable de l’Alliance démocratique (DA), première formation d’opposition (créditée seulement de 21 % d’intentions de vote dans les mêmes sondages) estime que le scrutin de 2019 est « la plus importante élection depuis l’avènement de la démocratie en 1994. »
La conférence nationale de l’ANC en péril
Mais, avant d’en arriver là, l’ANC doit désigner son équipe dirigeante. Cela doit avoir lieu dans trois mois, et le temps semble bien court. En Afrique du Sud, ce sont les délégués des branches locales qui votent pour départager les « ardoises » (avec les six noms des dirigeants). Alors, dans l’intervalle, un combat féroce a lieu en sourdine au niveau de certaines de ces structures locales. Dans le Kwazulu-Natal, la province la plus importante numériquement pour l’ANC, une empoignade pour le contrôle des instances s’est soldée par un désastre : responsables assassinés, résultat de la conférence locale invalidée par un tribunal. Il semble impossible de réorganiser cette structure d’ici décembre, et cela met en péril la tenue même de la conférence nationale.
un autre péril guette Nkosazana Dlamini-Zuma dans son ascension : ses soutiens sont en train de faiblir. Les responsables des régions (Mpumalanga, Free-State, North-West), qui soutenaient Jacob Zuma, et qui avaient pris tout naturellement le parti de son ex-épouse dans la course à la succession, ont changé de discours depuis quelques semaines. Une candidature alternative vient d’être poussée, celle de Zweli Mkhize, trésorier général de l’ANC, qui fait figure de candidat capable de restaurer « l’unité » perdue de l’ANC, comme l’affirment désormais des soutiens de Mme Zuma, encore zélés il y a peu tel Davis Mabuza, chef du gouvernement local de la province du Mpumalanga. La candidature de Mkhize est peut-être un leurre destiné à calmer le ressentiment anti-Zuma, alimenté par les scandales à répétition autour de la gestion de la famille Gupta et de sa « capture de l’Etat ».
Peut-être le contrôle de l’Etat… échappe-t-il désormais à l’Etat lui-même. C’est l’avis d’Ivor Chipkin, directeur de l’Institut de recherche sur les affaires publiques (PARI), auteur d’un rapport sur le sujet : « Ce qu’on voit apparaître, c’est un Etat fantôme, où toutes les décisions sont prises en dehors du gouvernement, du Parlement, et même de l’ANC. ». Or les Gupta, qui ont été au cœur du réseau de Jacob Zuma, sont peut-être en train d’en sortir. « Leur empire s’effondre, et personne ne réagit parmi les pro-Zuma. Mais il y a d’autres réseaux prêts pour les remplacer. Et, dans ce milieu, il ne pourra pas être question de perdre les élections, y compris en imaginant de recourir à des fraudes », s’inquiète M. Chipkin.