Assis à sa place, Benoît regarde d’un air goguenard la foule en costumes et tailleurs qui s’accumule sur le quai numéro 4 de la gare de Nice. Comme beaucoup de ces usagers, il fait partie des 25 % de voyageurs qui empruntent quotidiennement le train pour aller travailler à Monaco. Mais contrairement à ceux qui attendent le TER quai numéro 4, lui a renoncé à recourir à la SNCF pour ses trajets matinaux. Il prend désormais place à bord du train de l’entreprise française privée Thello, filiale de la compagnie italienne Trenitalia, qui réalise trois allers-retours quotidiens entre Nice et Milan, en passant par Monaco.

« Avant je prenais les TER de la SNCF, mais entre les trains supprimés, en retard, en grève, ou tout simplement bondés, c’est devenu ingérable », explique-t-il en désignant les voyageurs qui, trois quais plus loin, se serrent dans le TER de 8 h 06 en direction de Vintimille (à la frontière franco-italienne) ; le seul à se rendre à Monaco entre 8 heures et 9 heures en ce jour de grève.

En 2016, plus de 15 % des TER avaient subi un retard en région PACA

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) connaît les taux de retard et d’annulation de trains les plus élevés du pays. En 2016, plus de 15 % des TER avaient subi un retard, contre 11,7 % en Ile-de-France. En cause, pour une large partie : l’état du réseau, qui pâtit d’un manque d’investissement. La ligne reliant Marseille à Vintimille date de 1860. La région comptait alors 1,6 million d’habitants contre quasiment 5 millions aujourd’hui. En 2016, elle est, hors Ile-de-France, la ligne ferroviaire la plus empruntée du pays et ses TER sont souvent bondés.

Fréquentation croissante

Alors, à Nice, les trains Thello – mis en service en 2014 après l’ouverture à la concurrence dans le transport international de voyageurs en 2009 –, beaucoup moins fréquentés, sont vus comme une alternative pour de nombreux voyageurs.

Encore plus depuis que la région a signé, en janvier, une convention avec la SNCF et Thello permettant aux abonnés du TER de prendre les trains Thello entre Nice et Monaco pour 3 euros de plus par mois (contre 5 euros par voyage sans abonnement). « On est passé de 180 abonnés en janvier à plus de 650 en mars », précise Philippe Tabarot, vice-président Les Républicains de la région PACA, chargé des transports.

Selon lui, le mouvement de grève débuté début avril à la SNCF, qui ne concerne pas l’entreprise privée, n’y est pas étranger. Depuis deux mois, deux à trois TER sur quatre sont supprimés les jours de grève. « Thello permet aux usagers de la région d’être moins touchés par le mouvement », estime M. Tabarot. L’un des allers-retours va jusqu’à Marseille en passant par Cannes, Antibes ou encore Toulon. Ce soir-là, le Thello sera la seule option pour aller jusqu’à Marseille après 17 heures.

« Toujours de la place »

« On a toujours de la place, je suis sûre d’arriver à l’heure, et il n’est jamais annulé », vante Oxana, qui a fait le trajet Nice-Monaco en TER pendant dix ans avant d’opter pour le Thello de 8 h 15, légèrement plus rapide que le TER.

Ce train est le seul à partir réellement à plein, chargé des effectifs de travailleurs pendulaires. Ce jour-là, les wagons de 14 h 45 et de 18 h 14 sont beaucoup plus clairsemés, tout comme ceux du train de 20 heures, qui se rend sur Marseille. « Comme tous les jours », assure un agent de la SNCF en gare de Nice. Le soir, Oxana rentre d’ailleurs avec la SNCF, le Thello étant trop tardif. Mais si les horaires correspondaient, elle « n’hésiterait pas une minute ».

La fédération nationale des associations d’usagers des transports PACA abonde et souligne la propreté des trains, dans lesquels les places assises se réservent, dotés d’emplacement pour les bagages, de prises, et d’un wagon-bar.

Plus proches des Intercités ou des TGV que des TER

Rien d’étonnant toutefois : les trains internationaux, qui ne concurrencent pas réellement le transport régional, sont davantage l’équivalent des Intercités, voire des TGV, que des TER. Ces derniers font cinq arrêts entre Nice et Monaco et quatre de plus avant Vintimille, là où les Thello au départ de Nice sont directs jusqu’à la principauté, puis jusqu’à Vintimille ; ce qui ne serait pas le cas s’ils devaient remplacer les TER.

« Ce n’est juste pas comparable », estime-t-on à la SNCF :

« Les retards sont dus aux trains bondés, aux usagers qui retiennent les portes et qui empêchent le départ, aux contrôles de la police en raison des migrants qui montent à bord des trains… Cela arrive moins si on ne s’arrête pas dans toutes les petites gares comme le font les TER. Mais c’est ça la mission de service public. Quant aux retards dus au trafic, ils touchent tout le monde, peu importe le logo ! »

Quant à savoir si l’entreprise privée est moins chère que la SNCF, c’est une question sur laquelle Philippe Tabarot se veut prudent. « Pour l’instant, les coûts de structure semblent être moindres chez Thello qu’à la SNCF, mais on ne le saura vraiment qu’avec les appels d’offres », avance l’élu, qui ajoute que la région compense Thello – déficitaire depuis sa création en 2010 et cumulant 13,6 millions d’euros de dette − à hauteur d’environ 340 000 euros en 2018 pour proposer l’abonnement aux usagers.

Organisation du travail différente

Selon les syndicats de cheminots, ces coûts moindres ne sont cependant pas seulement synonymes d’avantages pour les voyageurs. Selon Stéphane Mollet, secrétaire général de la CFDT-Cheminots Marseille, ils s’expliquent notamment par une plus grande polyvalence des salariés de la filiale de Trenitalia, par conséquent moins nombreux qu’à la SNCF.

« Nous, nous avons des métiers spécifiques, alors que les employés de Thello font un peu de tout dans les trains : la vente et le contrôle de billets, la mise en place de machines, les opérations de sécurité… Mais en cas de problème technique, il faut du personnel formé en nombre suffisant. Si on n’a pas les personnes qu’il faut pour transférer les voyageurs d’un train à un autre en cas d’incident, par exemple, il peut vite y avoir des difficultés pour les usagers. »

La CGT-Cheminots Paris Sud-Est confirme cette polyvalence sur la seconde ligne exploitée par Thello, entre Paris et Venise. Sur ce train de nuit, le personnel de bord (hors conducteurs) est employé par un sous-traitant et « dépend de la convention collective des cafés-hôtels-restaurants », précise le syndicat. L’entreprise n’a pas souhaité répondre aux questions du Monde sur l’organisation du travail dans ses trains, pas plus que les salariés rencontrés.

Thello s’est d’ores et déjà positionné sur un futur appel d’offres de la région PACA. Cette dernière, en conflit avec la SNCF, souhaite ouvrir le marché à la concurrence le plus rapidement possible. Et le marché est d’importance : chaque jour, la région commande 700 TER à la SNCF pour un montant annuel de près de 300 millions d’euros. Mais du côté de Trenitalia, on prévient déjà que « si nous devons reprendre non seulement les personnels, mais aussi tout le système SNCF qui va avec [les avantages, l’organisation], ce n’est franchement pas intéressant pour nous ». Les syndicats de cheminots refusent, eux, de cesser la grève sans avoir obtenu cette garantie.

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