Catalogne : pourquoi l’Union européenne refuse d’intervenir
Catalogne : pourquoi l’Union européenne refuse d’intervenir
Par Cécile Ducourtieux (Bruxelles, bureau européen)
Si les dirigeants européens s’activent en coulisses, Bruxelles ne veut ni ouvrir la boîte de Pandore des revendications régionales, ni empiéter sur la souveraineté de l’Espagne.
Le drapeau catalan devant le Parlement européen, à Strasbourg. / Jean-Francois Badias / AP
L’Union européenne (UE) campe sur ses positions. Pas question d’intervenir ou de proposer quelque médiation que ce soit dans le conflit entre Madrid et les sécessionnistes catalans. Malgré les appels répétés des médias, des Verts et de l’extrême gauche européenne en faveur d’une telle démarche, et bien que la situation continue de se tendre dangereusement entre Madrid et Barcelone. « Il s’agit d’une affaire intérieure à l’Espagne », a encore répété un porte-parole de la Commission européenne, vendredi 6 octobre.
Pourquoi une telle rigidité, alors que la Commission est si prompte à se mêler des affaires intérieures d’autres pays dans l’Union ? Elle accuse par exemple la Pologne d’avoir violé l’Etat de droit avec des projets de réformes mettant fin à l’indépendance de ses juges. Et son droit de regard dans les budgets des pays membres alimente depuis des années le « Bruxelles bashing »…
Les dirigeants européens ont parfaitement conscience de la gravité de la crise catalane et des risques de déstabilisation pour l’Espagne, un des principaux pays membres de l’UE. Et ils s’activent en coulisses. Mais pas question d’assumer publiquement un rôle d’intermédiaire. Avant tout, « il faudrait d’abord que Madrid réclame une telle médiation, et ce n’est pas le cas », expliquent plusieurs diplomates à Bruxelles. « Aucun des trois principaux partis du Parlement européen, lors du débat sur la Catalogne [du 4 octobre], n’a demandé de médiation, ni aucune des institutions communautaires », ajoute une source officielle espagnole.
« Vous imaginez Sarkozy accepter une médiation de Juncker [le président de la Commission] dans une crise avec la Corse ? C’est impensable », réagit l’eurodéputé (LR) Alain Lamassoure. « Pas question de proposer nos services à Rajoy, cela l’affaiblirait et on donnerait raison à Carles Puigdemont », ajoute ce bon connaisseur de la question basque pour avoir été député des Pyrénées-Atlantiques dans les années 1980.
La boîte de Pandore des revendications régionales
Par ailleurs, les institutions européennes, fondées par des Etats-nations au sortir de la deuxième guerre mondiale, ne veulent surtout pas fragiliser un Etat membre souverain. « Le fonctionnement de l’Union repose sur l’unité et la stabilité de ses Etats membres. Les Européens souhaitent éviter les violences policières et l’instauration d’un dialogue entre Madrid et Barcelone, mais ils ne peuvent absolument pas aller au-delà », souligne un autre diplomate bruxellois. « Je ne vois pas de raison de justifier une ingérence dans les affaires espagnoles, l’Etat de droit n’y a pas été violé, il n’y a pas eu de discriminations juridiques par exemple », souligne encore ce bon connaisseur de l’UE.
Les images des violences policières lors du référendum de dimanche ont certes pu choquer dans le nord de l’Europe. « Ça nous a fait penser à des méthodes soviétiques », soulignait ces derniers jours un diplomate d’une capitale scandinave. Pour autant, à Bruxelles, comme à Paris ou Berlin, pas question, malgré la profondeur de la crise et la rigidité de Madrid, de légitimer une vélléité d’indépendance, de peur d’ouvrir la boîte de Pandore des revendications régionales. Le pari des dirigeants européens, c’est qu’à force de recevoir des messages l’assurant de son isolement, M. Puigdemont va renoncer à une déclaration unilatérale d’indépendance.
Symptomatique de l’isolement des séparatistes catalans : même la Suisse, dont les dépêches disaient pourtant, vendredi dans la matinée, qu’elle était prête à une médiation entre Madrid et Barcelone, est complètement sur la ligne européenne, et excessivement prudente. « La Suisse respecte la souveraineté de l’Espagne, par conséquent elle ne prend pas position sur une question de politique intérieure d’un Etat de droit comme l’Espagne. Une facilitation ne peut se faire que si les deux parties le demandent. La Suisse est en contact avec les deux parties mais les conditions pour une facilitation ne sont en ce moment pas réunies », explique ainsi au Monde Rafael Saborit, le porte-parole de la représentation suisse auprès de l’UE.
Et si dans les jours qui viennent, lundi ou mardi, M. Puigdemont déclarait unilatéralement l’indépendance de la Catalogne ? « Il ne se passerait probablement rien au niveau européen », assure encore un diplomate bruxellois.