Lorsqu’il a présenté à ses assureurs son projet d’école avec des murs porteurs en paille, la réponse a été sèche. « C’était non, se souvient Rémy Beauvisage, directeur d’Apij Bat, une entreprise de constructions écologiques. Les experts n’y croyaient pas. Ce n’est pas une technique réglementée, et ils avaient du mal à comprendre comment cela pourrait tenir. Ça a été une vraie bataille pour les convaincre », lâche-t-il, ne cachant pas avoir gagné « quelques cheveux blancs » dans l’affaire. Aujourd’hui, il regarde avec satisfaction son bâtiment pilote, devant lequel courent de jeunes enfants.

Ce bâtiment, c’est l’école maternelle des Boutours, à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), inauguré vendredi 6 octobre. Toute une partie de cet édifice – dont le coût total s’élève à 7 millions d’euros – est construite en « paille porteuse ». Ici, la paille n’est pas seulement utilisée en remplissage pour l’isolation thermique des murs, comme pour de nombreux bâtiments, mais comme élément structurel. « C’est la première fois qu’un bâtiment recevant du public utilise cette technique », se félicite Emmanuel Pezrès, directeur de l’innovation territoriale à la mairie de Rosny-sous-Bois.

Empilées les unes sur les autres, les bottes de paille sont compressées par une poutre horizontale : elles forment les murs et soutiennent le toit. Pourtant, de l’extérieur ou à l’intérieur de l’école, rien – mis à part dans un couloir une « fenêtre de vérité » qui le dévoile à la manière d’un hublot – ne laisse deviner le mur empaillé : les bottes ont été couvertes d’un enduit beige imperméabilisant.

Renouveau de la paille dans le bâtiment

Tombée dans l’oubli pendant près d’un siècle, l’utilisation de la paille dans le bâtiment connaît un renouveau dans les villes depuis quelques années, à la faveur du développement des matériaux biosourcés. En France, la petite filière s’est structurée au début des années 2000 et a pris son essor en 2012, date de publication des premières règles professionnelles de la construction en paille. Actuellement, celles-ci ne concernent que ses usages dans le cadre de l’isolation thermique, en remplissage d’une ossature en bois. Environ 5 000 bâtiments ont effectué leur isolation de cette manière – un chiffre en croissance de 10 % par an, selon le Réseau français de la construction paille (RFCP). La « filière paille » dans la construction fait ainsi travailler en France 600 personnes, réparties dans 190 petites entreprises, pour un chiffre d’affaires annuel de 35 millions d’euros.

Un morceau de mur en paille exposé dans l’école des Boutours.

Aujourd’hui, la « paille porteuse » constitue un nouveau champ d’innovation pour tous les architectes, ingénieurs et constructeurs écologiques convaincus de l’intérêt de ce matériau. Beaucoup y voient une solution d’avenir, alternative au bois. Cette technique n’est pourtant pas nouvelle : elle est née aux Etats-Unis, dans le Nebraska, à la fin du XIXe siècle, et a accompagné l’arrivée des compresseuses de paille. Dans cet état rural du Midwest américain, des agriculteurs ont édifié des maisons en bottes de paille – certaines sont toujours debout.

Aujourd’hui, le RFCP recense une cinquantaine de maisons en paille porteuse en France. Plusieurs bâtiments issus de la commande publique sont en cours de construction, notamment à Saint-Léonard-de-Noblat, dans la Haute-Vienne, ou aux Mages, dans le Gard. Des formations et des expérimentations sont menées dans toute la France afin d’aboutir, d’ici quelques années, espèrent ses défenseurs, à une réglementation.

Peu chère, abondante et disponible dans la plupart des régions

Les mérites de ce matériau ne manquent pas selon eux. La paille est tout d’abord disponible dans la plupart des régions de France. « L’approvisionnement peut se faire en circuit court, avec peu de coûts de transports », résume Emmanuel Pezrès, qui travaille sur projet de centre de loisirs en paille porteuse à Rosny-sous-Bois. C’est surtout un bon isolant thermique, « été comme hiver », ajoute Luc Floissac, géographe, membre d’un bureau d’études environnementales. Et sa facilité de manipulation la rend adaptée aux chantiers participatifs : « On peut faire travailler des petites mains, faire des chantiers de réinsertion », pointe Rémy Beauvisage, de l’Apij Bat. D’autres mettent en avant la possibilité de construire des bâtiments « résilients » et biodégradables, qui peuvent, si besoin, être détruits facilement.

La paille présente aussi des arguments économiques intéressants. La ville des Mages (Gard), qui réalise une maison de retraite de 700 mètres carrés en murs de paille, a fait le calcul. « Pour ce projet, la paille était 8 % plus chère que la combinaison parpaing/polystyrène. Mais les parpaings signifiaient 308 heures par an d’inconfort lié à la chaleur, contre 20 heures seulement pour la paille. On aurait donc dû climatiser. Ce qui aurait coûté beaucoup plus cher que la paille », détaille Cédric Hamelin, l’un des architectes du projet. Enfin, contrairement aux idées reçues, la paille résiste au feu dès lors qu’elle est compressée. « Une botte très compacte ne s’embrase pas. Et si la paille a été bien traitée et les grains enlevés, il n’y a aucun risque que des rongeurs s’y attaquent », assure Mathilde Lapierre, architecte et formatrice.

La menace d’un dégât des eaux

Malgré ces atouts, la paille n’aura sans doute jamais le succès que connaît aujourd’hui le bois dans le monde de la construction écologique. Tout d’abord parce qu’il est difficile de créer plusieurs étages en paille porteuse. Son utilisation se prête surtout à des édifices de plain-pied ou d’un seul étage. Aussi, elle nécessite de construire des murs relativement épais, de l’épaisseur des bottes – ce qui peut être problématique dans les villes où le foncier est cher.

Mais sa principale limite est sa sensibilité à l’humidité, « comme tous les matériaux biosourcés », note Mariangel Sanchez, ingénieure chargée du suivi des innovations à l’Agence qualité construction (AQC). « Cela peut amener à une perte de la résistance thermique et mécanique de la paroi en cas de dégâts des eaux, de fuite, ou si la vapeur d’eau migre à l’intérieur. » La paille étant putrescible, l’attaque des moisissures peut être très rapide. L’AQC met aussi en garde les constructeurs contre les risques d’incendie sur les chantiers, en présence d’étincelles ou de flammes, si des bottes s’éventrent par exemple.

Tout cela explique la réticence des assureurs. D’autant que la technique de la paille structurelle n’est pas réglementée par la profession, « alors qu’elle l’est en Angleterre, au Danemark ou en Suisse », pointe l’architecte Cédric Hamelin. « Aujourd’hui, il est difficile mais néanmoins possible pour les architectes d’assurer des murs en paille. Les assureurs vérifient que l’équipe est bien formée, car sous ses airs de matériau accessible, il faut vraiment bien maîtriser la technique pour ne pas avoir de problèmes. De notre coté, nous n’avons enregistré aucun sinistre », relève Michel Klein, directeur des sinistres à la Mutuelle des architectes français.

Luc Floissac évoque d’autres obstacles d’ordre psychologiques ou culturels : « Les gens ont peur des matériaux écologiques, alors même que l’on voit les dégâts sur la santé des matériaux comme l’amiante, et le prix que cela nous coûte aujourd’hui. » Et celui-ci d’ajouter : « Dans le cas de la paille, l’histoire des Trois Petits Cochons reste très présente dans la mémoire collective. Cela ne nous aide pas. »

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