Le président burkinabé met en cause les « collusions » de son prédécesseur avec les djihadistes
Le président burkinabé met en cause les « collusions » de son prédécesseur avec les djihadistes
Par Christophe Ayad (Ouagadougou, envoyé spécial)
Pour Roch Kaboré, les attaques qui ont touché le Burkina en 2016 et 2017 seraient une conséquence de la complaisance de Blaise Compaoré envers les groupes terroristes.
Roch Marc Christian Kaboré dans les locaux de l’ONU, à Genève, le 16 octobre 2017. / Salvatore Di Nolfi/AP
C’est une accusation grave qu’a lancée le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, dans l’émission « Internationales », dimanche 5 novembre sur TV5 Monde, à l’occasion d’un entretien conjoint avec Le Monde et RFI. « Le Burkina Faso a longtemps été considéré comme une oasis de paix, le seul pays dans la sous-région à ne pas avoir été touché par les attaques terroristes », a-t-il expliqué, avant de pointer du doigt son prédécesseur :
« L’ex-président Blaise Compaoré [aujourd’hui en exil en Côte d’Ivoire et recherché par la justice burkinabée] a joué un rôle de médiation au Mali, [ce] qui fait que, de façon constante, nous avons eu ses collusions avec les forces djihadistes au Mali. »
« Je pèse mes mots », a ajouté M. Kaboré pour marquer le coup. Le président Kaboré, premier dirigeant démocratiquement élu du Burkina Faso depuis 1960, est régulièrement accusé d’insuffisances dans le domaine de la sécurité. Moins d’un mois après son entrée en fonction, un commando djihadiste visait un hôtel, un restaurant et un bar du centre de Ouagadougou, le 15 janvier 2016, tuant 30 personnes (dont 20 étrangers) à l’arme automatique. Cet attentat, revendiqué par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), avait été suivi d’un deuxième, non revendiqué, le 13 août 2017, dans un restaurant de la capitale burkinabée, et dans lequel 18 personnes sont mortes.
« Nous sommes devenus un obstacle »
Roch Marc Christian Kaboré a dû affronter les critiques à la suite de ces attaques, les premières dans le pays, sur le manque de professionnalisme de la nouvelle équipe au pouvoir en matière de sécurité. Reproches qu’il balaie aujourd’hui : « On ne pouvait pas laisser le Burkina Faso devenir une plaque tournante où passent des armes, de la drogue et des trafics en tous genres. Nous sommes devenus un obstacle pour ces groupes-là et il est donc tout à fait normal que le Burkina Faso soit visé. »
Pour lui, c’est le durcissement de la politique du Burkina Faso qui est à l’origine des attaques djihadistes. « Ce n’est pas une question de capacité de nos services de sécurité et de renseignement. La collusion permettait de masquer toutes ces insuffisances », ajoute le président Kaboré, qui insiste sur le nécessaire renouvellement des cadres au sein des services de sécurité et de renseignement : « Le pays a besoin de renouvellement. Il est tout à fait normal que nous rebâtissions une Agence nationale du renseignement avec l’aide de nos partenaires extérieurs. »
Sur la coopération antiterroriste avec les Etats-Unis, notamment, le président burkinabé insiste sur le fait qu’ils « font essentiellement de la formation, comme la France et d’autres pays. En dehors de ça, il n’y a aucune troupe américaine chargée d’une mission spécifique au Burkina Faso », assure-t-il, alors que les révélations ne cessent de s’accumuler sur l’embuscade qui a coûté la vie à quatre soldats américains des forces spéciales, le 4 octobre, au Niger.
Concernant la force du G5 Sahel, qui regroupe les cinq pays de la région (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) et qui vient de mener sa toute première opération, le président burkinabé a demandé que ses soldats soient payés autant que ceux composant la Minusma, la force de maintien de la paix des Nations unies au Mali. « Il est difficile d’envoyer des troupes combattantes à des conditions de salaires minimales par rapport à la Minusma, a justifié M. Kaboré. Certes, elles défendent notre territoire, mais elles sont capables d’agir avec » Barkhane « [le dispositif militaire français dans le Sahel] dans tout pays [de la région]. »
« Il nous faut assainir »
Il a espéré que la conférence des donateurs, à Bruxelles en novembre, parvienne à rassembler un budget proche des exigences africaines – 423 millions d’euros, là où Paris estime qu’un budget de lancement de 200 millions suffit. Pour le moment, le compte n’y est pas : le total des engagements pris par les pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad), plus la France, les Etats-Unis et l’Union européenne, se monte à 160 millions d’euros.
Pour le Burkina Faso, l’enjeu est crucial, alors que le nord du pays glisse peu à peu hors du contrôle des autorités. « Il est excessif de dire que nous perdons le contrôle du nord de notre territoire », assure le président Kaboré, qui reconnaît des problèmes « dans un certain nombre de zones bien limitées », où les attaques sont perpétrées, selon lui, de « gens qui viennent du Mali ».
Il a reconnu que l’approche militaire, bien que nécessaire, ne suffisait pas : « Dans un premier temps, il nous faut assainir. Il faut également mettre en place des projets de développement qui permettent aux gens de se sentir concernés. Nous avons mis en place un plan d’urgence d’infrastructures, qui permette de sédentariser les gens (…) et de créer des emplois pour les jeunes. Tout doit être lié : le militaire et le développement. » Le Burkina Faso est l’un des dix pays les plus pauvres au monde, selon l’Indice de développement humain des Nations unies.