Extrait d’une des vidéos publiées par Jérôme Jarre depuis un camp de réfugiés Rohingyas au Bangladesh.

« Il y a beaucoup de personnes dans les commentaires qui nous parlent du [patron d’Amazon] Jeff Bezos, dites-nous qui devrait être la première entreprise qu’on va solliciter aujourd’hui. »

A l’image, en direct depuis un camp de réfugiés à Cox’s Bazar au Bangladesh, le vidéaste Jérôme Jarre incite le millier de personnes connectées à son Facebook Live à lui donner des idées d’entreprises à solliciter pour la cause des Rohingyas. Plusieurs centaines de milliers de membres de cette minorité musulmane de Birmanie, victimes d’une campagne d’épuration ethnique dans leur pays, selon l’Organisation des Nations unis, s’entassent depuis des mois dans des camps au Bangladesh voisin.

C’est pour défendre leur cause que Jérôme Jarre, accompagné de plusieurs youtubeurs français connus (DJ Snake, Jhon Rachid, Mister V, etc.) et du comédien Omar Sy, s’est rendu à Cox’s Bazar, afin, explique-t-il, de récolter des fonds pour ces réfugiés qui ont tout perdu. But de l’opération : inciter aux dons par une campagne virale sur les réseaux sociaux, en ciblant avant tout des gouvernements ou de grandes entreprises.

Les sommes récoltées seront données directement aux personnes vivant dans le camp. « Je vais rester sur place pendant plusieurs semaines pour être sur que les fonds iront directement dans les mains [des réfugiés] », affirme le vidéaste. Rien n’indique pour le moment que ces youtubeurs philanthropes aient contacté les organisations humanitaires déjà sur place, à l’instar de Médecins sans frontières ou Médecins du monde – cette dernière s’est d’ailleurs rappelée à eux avec ce tweet :

Une carrière d’« influenceur »

Son nom n’évoque peut-être pas grand-chose aux internautes qui fréquentent peu les réseaux sociaux, mais Jérôme Jarre a construit sa célébrité à partir de 2013 en postant des boucles vidéos humoristiques de quelques secondes sur Vine, une application aujourd’hui disparue. Ce Français de 27 ans, aujourd’hui installé aux Etats-Unis est suivi par plusieurs millions de personnes sur Facebook, Twitter ou encore Snapchat. Il fait désormais carrière comme « influenceur » – il monte des opérations donnant de la visibilité sur les réseaux sociaux, notamment pour des marques.

Lancée le 27 novembre, l’opération, baptisée #loveArmyForRohingya, a commencé par interpeller le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à l’initiative de Jérôme Jarre. Avec un demi-succès : ce dernier a répondu que son gouvernement « ne refuse jamais son aide à ceux qui le sollicitent », sans s’engager sur un don. Le choix d’interpeller le président turc, qui soutient la cause des Rohingyas tout en durcissant la répression contre ses propres opposants, a également valu à l’opération plusieurs critiques sur les réseaux sociaux. Plusieurs observateurs notent que l’engagement du président turc pour les réfugiés, bien réel, n’est pas totalement dénué d’arrière-pensées et participe d’une campagne visant à redorer son image.

Une précédente opération en Somalie

Jérôme Jarre n’en est pas à sa première campagne humanitaire virale sur les réseaux sociaux. Fin mars, il a mobilisé sa « love army » d’internautes à la recherche de fonds pour aider la Somalie, après un tweet où il s’indignait de la situation dans ce pays frappé par la famine. L’opération avait récolté plus de 2,3 millions d’euros.

Suivi par plus d’1,6 million de personnes sur Twitter, il était parvenu à faire décoller un avion chargé de nourriture vers la Somalie en s’adressant à la seule compagnie qui desservait le pays, Turkish Airlines, avec le hashtag #TurkishAirlinesHelpSomalia. Omar Sy, présent à ses côtés au Bangladesh, l’avait déjà félicité pour cette initiative, qui avait par ailleurs généré plus d’un million de messages sur les réseaux sociaux en quelques jours.

Une semaine après cette campagne éclair, la célébrité des réseaux sociaux, acclamée unanimement pour sa capacité de mobilisation et son grand cœur, posait en Somalie à proximité des sacs de vivres. Pourtant, l’opération posait question à plusieurs égards, notait le site Slate, dans un article intitulé « Jérôme Jarre n’a pas vraiment compris le travail des ONG ». L’article relevait notamment que le vidéaste entretenait déjà auparavant des relations avec Turkish Airlines, et surtout que le travail des humanitaires dans le pays était bien plus complexe que la seule distribution de vivres. « L’idée même du projet semble problématique, puisqu’il laisse croire au monde entier qu’un avion rempli de nourriture et d’eau peut se révéler efficace », écrivait le site d’information.

Au Bangladesh, la situation des réfugiés Rohingyas est encore bien plus complexe que celle des Somaliens touchés par la famine. Comme le dit d’ailleurs l’un des réfugiés interrogés durant le Facebook Live :

« Nous n’avons pas besoin de votre or et de vos diamants, nous avons tout ce dont nous avons besoin dans notre pays. Nous ne nous sommes enfuis au Bangladesh que pour sauver nos vies. »

La situation dans les camps de réfugiés est très mauvaise, et les risques sanitaires importants, mais ce que demandent les réfugiés eux-mêmes est avant tout une solution politique à la crise qui leur permettrait de rentrer en Birmanie sans craindre pour leur vie.