Le Sénat adopte la réforme fiscale de Donald Trump, premier succès majeur pour le président
Le Sénat adopte la réforme fiscale de Donald Trump, premier succès majeur pour le président
Par Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)
Le projet de loi doit désormais être fusionné avec celui concocté par la chambre des Représentants, mais cette étape devrait être aisée à franchir.
C’eût été un jour de triomphe pour Donald Trump si son ancien conseiller n’avait pas reconnu avoir menti au FBI dans l’enquête sur la collusion avec les Russes pendant la campagne présidentielle de 2016 : le Sénat a approuvé vendredi 1er décembre dans la soirée par 51 voix contre 49 le projet de réforme fiscale.
Il s’agit de la première victoire d’ampleur pour l’équipe Trump, après qu’elle se fut montrée incapable d’abroger la loi sur la santé du président Obama cet été. Le chemin d’obstacle n’est pas encore achevé. Le projet voté par le Sénat doit désormais être fusionné avec celui concocté par la chambre des Représentants, mais cette étape devrait être plus aisée à franchir, la majorité républicaine de la chambre étant plus large.
Baisse des impôts
Cette réforme fiscale s’est faite au prix d’un sacrifice : le déficit public qui atteint encore 3,5 % du produit intérieur brut en dépit d’un rythme de croissance de 3,3 %. Le texte prévoir en effet de réduire les impôts de 1400 milliards sur dix ans -0,75 % du PIB actuel par an environ — mais les recettes induites par le surplus espéré de croissance ne dépasseront pas 460 milliards de dollars, selon les calculs des experts du congrès, soit moins d’un tiers des baisses d’impôts. Cette potentielle dérive budgétaire avait bloqué l’adoption du texte dans la nuit de jeudi, un groupe de trois sénateurs, partisans de l’orthodoxie budgétaire, ayant exigé un mécanisme automatique qui conduise à une hausse des impôts ou une baisse automatique des dépenses, en cas de récession. Cette mesure était critiquée par les keynésiens car pro cyclique – en cas de récession il faut au contraire laisser filer les déficits et les Républicains opposés à toute hausse d’impôts. Elle se heurtait à des impossibilités légales et le groupe des trois s’est finalement décomposé, seul un sénateur ayant maintenu son rejet du texte, Bob Corker (Tennessee).
Globalement, cette réforme est la première d’ampleur depuis celles décidées par Ronald Reagan dans les années 1980 – baisse des impôts puis simplification avec baisse des taux et élargissement des assiettes. Mais là où le président Reagan avait cherché un consensus – il n’avait pas de majorité au congrès — Trump et les Républicains ont choisi de passer en force, au pas de charge, laissant le soin aux démocrates de dénoncer une réforme profitant aux plus riches et inutile alors que l’économie n’a pas besoin de stimulus budgétaire, forte d’un rythme de croissance de 3,3 %. Cette opinion est aussi celle de la Fed de New York.
Une réforme pour les entreprises
Cette réforme est d’abord celle des entreprises, qui verront leur taux d’IS passer de 35 % à 20 % soit deux points en dessous de la moyenne de l’OCDE. L’argument de Donald Trump, élu par les travailleurs, souvent blancs, déclassés de la mondialisation, est que ce retour de la compétitivité des entreprises leur permettra d’embaucher et de payer des meilleurs salaires. Celles-ci pourront aussi déduire immédiatement leurs investissements de leur résultat imposable.
Enfin, les entreprises américaines vont abandonner le principe de l’imposition mondiale des bénéfices (les profits des filiales étrangères sont imposés par le fisc américain lorsque les capitaux sont rapatriés aux États-Unis) au profit d’un système territorial. Cette révolution s’accompagne d’une taxation à taux réduit, relevé en dernière minute de 10 à 14,5 %, des 2 900 milliards de dollars de profits des multinationales actuellement logés à l’étranger et impose aussi une taxe minimale globale. Cette amnistie déguisée pourrait apporter un afflux de capitaux aux États-Unis. Elle est non coopérative, alors que les Européens s’efforcent de lutter contre l’évasion fiscale notamment celle des géants du numérique américain.
Elle pourrait violer ou remettre en cause de nombreuses conventions fiscales bilatérales. La précédente mesure de ce type, décidée par George W Bush en 2004, n’avait pas conduit à un surplus d’investissement mais à davantage de cash rendu aux actionnaires (via les dividendes ou les rachats d’actions). L’administration Trump table sur des investissements et les indicateurs, notamment ceux de la Réserve Fédérale de Philadelphie, sont plutôt encourageants sur les intentions dans ce domaine.
Qui ne s’attaque pas aux inégalités
L’autre volet concerne les particuliers. La réforme déplace de multiples curseurs, double la part non imposable du revenu, supprime de nombreuses niches fiscales, pénalise les divorcés et les étudiants. Bref, un maquis qui ferait en 2019 62 % de gagnants, 8 % de perdants et serait neutre pour les 30 % de contribuables restants, selon les calculs du New York Times. Le plus souvent, les ménages les plus modestes ne verront pas de changement, les classes moyennes ne sont pas certaines de voir leur impôt baisser tandis que la tranche gagnant entre 500 000 et un million de dollars s’en sortirait particulièrement bien, 92 % voyant un recul de la pression fiscale. Plus le temps passe, plus la classe moyenne verra ses impôts augmenter. Ces projections, entre autres, expliquent la faible popularité de cette réforme fiscale, alors qu’on ne sait pas encore quel sera le nombre de tranches (le Sénat veut rester à 7, la Chambre à quatre -12 %, 25 %, 35 % et 39,6 %), ni le taux maximal : le Sénat veut baisser à 38,5 % et la Chambre conserver le taux actuel de 39,6 % pour ne pas donner le sentiment de favoriser les riches
S’y ajoute le problème des autoentrepreneurs, que Donald Trump voulait imposer à 25 %. Les Démocrates ont dénoncé ce statut juridique qui permet aux plus gros revenus de réduire leur impôt. Finalement, c’est un taux légèrement inférieur à 30 % qui a été retenu tandis que l’impôt minimal ne sera pas abrogé, tant pour les entreprises que les particuliers.
L’affaire a donné lieu à une bataille sur la déductibilité des impôts locaux et étatiques de l’impôt fédéral. Les Républicains voulaient la supprimer, arguant que ce système conduit à faire subventionner par les États à faible fiscalité locale ceux à forte fiscalité, qui se trouvent être le plus souvent des États démocrates côtiers (Californie, Oregon, New York, New Jersey). Les classes moyennes de ces États auraient été pénalisées, et un compromis a été trouvé pour maintenir une déductibilité partielle, celle des impôts fonciers à hauteur de 10 000 dollars. Le texte supprime les amendes infligées aux Américains qui ne souscrivent pas une assurance santé et autorise, par un curieux cavalier, le forage pétrolier en Alaska, dans l’Arctic National Wildlife refuge.
Enfin, cette réforme ne s’attaque nullement aux inégalités, jugées criantes aux États-Unis, dont l’envolée a conduit à l’élection de Trump, divisé la gauche et favorisé l’émergence du Sénateur indépendant Bernie Sanders.