Le roi Michel 1er de Roumanie est mort
Le roi Michel 1er de Roumanie est mort
Par Mirel Bran (Bucarest, correspondant)
Celui qui avait dirigé la Roumanie pendant la deuxième guerre mondiale, avant d’abdiquer en 1947 puis revenir en 1997, est mort mardi, à l’âge de 96 ans.
Dernier chef d’Etat vivant ayant dirigé pendant la deuxième guerre mondiale, le roi Michel de Roumanie est décédé le 5 décembre, à l’âge de 96 ans, dans sa résidence d’Aubonne, en Suisse. Sa vie fut aussi mouvementée que l’histoire de son pays, qu’il dirigea, quitta et retrouva en l’espace d’un demi-siècle. Il est né le 25 octobre 1921 au château royal de Sinaia, résidence de la Maison royale roumaine nichée dans les Carpates.
A l’échelle de l’histoire, la monarchie roumaine est encore très jeune. En 1866, afin d’en finir avec les querelles politiques qui envenimaient le pays, la Roumanie fait un choix monarchique en installant sur le trône le roi Carol-Ludovic de Hohenzollern-Sigmaringen. Lui succède son fils, Ferdinand, qui confie le pouvoir à son fils Carol II.
L’entre-deux-guerres est une période faste pour la Roumanie. Le pays connaît alors un envol économique sans précédent et s’aligne, en brûlant les étapes, sur le modèle démocratique de l’Europe de l’Ouest. Mais Carol II ne se montre pas à la hauteur de ses prédécesseurs.
Abdication et exil
Après une suite d’aventures galantes, il abdique le 6 août 1940 en faveur de son fils, le jeune Michel. Né le 25 octobre 1921 au château royal de Sinaia, résidence de la maison royale roumaine nichée dans les Carpates, il se retrouve roi à l’âge de 18 ans. Deux mois plus tôt, l’Union soviétique avait annexé la partie orientale de la Roumanie, qui s’était engagée dans la deuxième guerre mondiale aux côtés de l’Allemagne nazie.
Dès la fin de la guerre, la monarchie roumaine est dotée d’un gouvernement communiste imposé par l’armée rouge. Un pistolet sur la table, les dirigeants communistes venus rencontrer Michel au palais Elisabeth de Bucarest l’obligent à abdiquer en menaçant de fusiller un millier d’étudiants pro-monarchistes en cas de refus.
Le 30 décembre 1947, le roi abdique et part en exil. Après un court passage à Londres il s’installe avec son épouse, Anne de Bourbon-Parme, à Versoix, en Suisse. Ils auront cinq filles et, en l’absence d’un fils qui prenne la relève, l’aînée, Margareta, se voit confier plus tard l’héritage de la couronne.
Un exil d’un demi-siècle
L’exil du roi a duré un demi-siècle, jusqu’à l’effondrement du régime communiste en décembre 1989. Après l’exécution du « conducator » Nicolae Ceausescu, le monarque demande au nouveau président, l’apparatchik Ion Iliescu, de réinstaurer la monarchie, ce que refuse ce dernier.
En décembre 1990, il revient en Roumanie, mais quelques heures après son atterrissage à Bucarest il est reconduit à la frontière manu militari sur l’ordre d’Ion Iliescu. En 1992, il retourne dans son pays à l’occasion de la fête de Pâques, et 1 million de Roumains descendent dans la rue le supplier de rester. Craignant cette perspective, le président Iliescu l’interdit de séjour.
C’est seulement en 1997, un an après la défaite électorale de ce dernier au profit d’Emil Constantinescu que le roi reçoit un passeport roumain et réintègre son pays. Mais les nouvelles autorités ne sont pas pressées de lui restituer les palais et les propriétés qu’il revendique. Puis Ion Iliescu revient aux commandes de 2000 à 2004 et entend redorer son image d’ancien apparatchik.
Roi sans trône
En 2001, le roi Michel serre la main de son ancien ennemi, qui lui restitue les propriétés de la Maison royale, geste que beaucoup de monarchistes avaient alors considéré comme un pacte avec le diable. A 80 ans, le roi Michel réussit enfin à se réinstaller dans le palais Elisabeth à Bucarest, ancienne demeure royale transformée en cantine au temps du régime communiste. Un bâtiment kitsch où le roi dut mettre beaucoup du sien pour lui redonner vie.
Michel demeura un roi sans trône, mais malgré le pacte conclu avec son pire détracteur, les Roumains ont toujours gardé un capital de sympathie pour leur ancien monarque.
En Roumanie, le roi Michel s’était tenu à l’écart de la vie politique et avait confié la tâche de diriger la Maison royale à l’héritière du trône, la princesse Margareta.
Mais s’il lui a transmis le pouvoir symbolique de la couronne, elle n’est pas parvenue à acquérir aux yeux des Roumains la grandeur et le charisme de son père.
Tenue et dignité
En septembre 1996, Margareta épouse l’acteur roumain Radu Duda qui prend son rôle de prince très au sérieux. Mais le jeune couple royal peine à redonner vie au mouvement monarchiste. En 2009, le prince Duda se porte candidat à l’élection présidentielle, mais comprend vite qu’il n’a aucune chance et abandonne la course.
Par sa tenue, sa dignité et une vie difficile, le roi a marqué l’imaginaire collectif des Roumains. A 90 ans, il avait été convié devant les deux chambres réunies du Parlement où il tint un discours à la hauteur du moment.
« Le monde de demain n’existera pas sans morale, sans foi et sans mémoire, avait-il déclaré devant les élus. Le cynisme, l’intérêt étroit et la lâcheté ne doivent pas trouver place dans nos vies. La Roumanie a évolué grâce aux idéaux des grands hommes de notre histoire qu’ils ont servie en se montrant responsables et généreux. Je ne considère pas la Roumanie actuelle comme un héritage de nos parents, mais comme un pays qu’ils nous ont prêté parce que nous sommes ses enfants. »
Des paroles simples qui traduisent la force d’un véritable homme d’Etat.