Au CHU de Marseille, la peur des suppressions de postes
Au CHU de Marseille, la peur des suppressions de postes
Par Luc Leroux (Marseille, correspondant)
Le financement par l’Etat d’un plan de modernisation s’accompagnera de contreparties. Une grève est prévue jeudi.
L’hôpital de la Timone, à Marseille, le 19 décembre 2017. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
En déficit chronique, endettée à hauteur d’un milliard d’euros, détentrice du record de l’absentéisme hospitalier, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) connaît une nouvelle poussée de fièvre. Les syndicats qui appellent à une journée de grève, jeudi 21 décembre, s’alarment de la suppression possible d’environ 800 à 1 000 postes, dont la moitié de soignants. Aucune annonce officielle n’a été faite par la direction de l’AP-HM, qui ne conteste cependant pas ces chiffres.
« On a appris ces suppressions d’emplois par la presse, ça a été un séisme, dit Audrey Jolibois, secrétaire générale de Force ouvrière (majoritaire). Nos hôpitaux ne supporteront pas une telle saignée alors que les équipes ont atteint le stade de l’épuisement. » C’est par un article du quotidien La Provence que les 13 000 agents de l’AP-HM ont appris l’existence de ce que les syndicats estiment être un « mauvais deal » : le financement par l’Etat d’un ambitieux plan de modernisation des hôpitaux marseillais en contrepartie d’une réduction drastique d’effectifs. Le directeur général de l’AP-HM, Jean-Olivier Arnaud, refuse de « valider ou invalider ces chiffres » et « regrette qu’ils aient été mis sur la place publique ». Il nie l’existence d’un plan social « caché ».
L’AP-HM présentera le 31 janvier 2018 son plan de modernisation (2017-2024) au Comité interministériel de la performance et de la modernisation des offres de soins hospitaliers. Avec des capacités d’emprunt réduites en raison de sa dette colossale, le troisième CHU de France espère le financement par l’Etat – dans la proportion la plus importante possible – des 300 millions d’euros indispensables pour mettre en œuvre son projet d’établissement, pour reconstruire une maternité et pour réhabiliter les hôpitaux de La Timone et Nord, deux immeubles de grande hauteur, vétustes et non conformes.
« Etat de délabrement »
Absence de douches dans les chambres, toilettes au bout du couloir, ascenseurs sous-dimensionnés… Le projet vise à rattraper trente années d’un défaut d’entretien des bâtiments en matière d’hôtellerie alors que la concurrence du privé a développé une offre attractive. « Cet état de délabrement, ce n’est plus possible, estime le Pr Dominique Rossi, président de la commission médicale d’établissement. Il faut que les malades soient accueillis dans des conditions décentes et que les personnels retrouvent des conditions de travail normales alors qu’elles sont aujourd’hui éreintantes. »
S’il précise que le dossier de l’AP-HM est « pris en compte au plus haut niveau », Claude d’Harcourt, directeur de l’Agence régionale de santé PACA, confirme que l’Etat attend des « retours sur investissements » et, à terme, un équilibre financier. Des ajustements d’effectifs doivent se faire, concède le Pr Rossi, « mais progressivement, pas avant les travaux, pas avant que les investissements soient réalisés ».
La réorganisation envisagée vise notamment à une meilleure thématisation des quatre sites de l’établissement, à la « standardisation » d’unités de soins autour de 28 lits ou encore au développement de l’ambulatoire et du séjour de courte durée. La réduction d’effectifs envisagée vient s’ajouter aux 223 suppressions d’emplois déjà actées dans le contrat de retour à l’équilibre financier présenté en 2015 et destiné à juguler en cinq ans un déficit structurel annuel d’environ 50 millions d’euros.
« C’est vraiment la double peine », déplore Frédéric Collart, professeur de chirurgie cardiaque et vice-président de la métropole Aix-Marseille-Provence. Lors d’une assemblée générale qui a réuni, le 11 décembre, un quart des 2 000 médecins de l’AP-HM, l’évocation des possibles suppressions de postes a provoqué une « levée de boucliers alors que, en termes d’effectifs, tous les services sont déjà à l’os », rapporte M. Collart.
Régulièrement étrillés par l’Inspection générale des affaires sociales pour une gestion « archaïque », l’état très dégradé de ses finances ou encore le maintien d’un système clientéliste, les hôpitaux marseillais jouissent, dans le même temps, de l’image d’une institution médicale d’excellence avec une qualité de soins exceptionnelle, 80 centres labellisés « maladies rares » et un travail de recherches de premier plan. Se disant « viscéralement attachées à l’AP-HM », les collectivités territoriales (ville de Marseille, métropole Aix-Marseille-Provence, conseil départemental des Bouches-du-Rhône et conseil régional PACA) pourraient apporter leur soutien au plan de modernisation, y compris en signant un gros chèque. « C’est un choix politique, met en garde le Pr Rossi. Si ce projet de modernisation ne se fait pas, on va mourir. »
Un absentéisme plus important
Autre chantier auquel est confrontée l’AP-HM depuis des années : l’absentéisme. Les hôpitaux marseillais campent en queue de peloton des établissements français. Avec 1 200 agents qui manquent à l’appel au quotidien, le taux d’absentéisme est de 9,6 % contre une moyenne de 7,8 % dans les CHU. Cet écart de près de deux points équivaut à 227 agents en moins chaque jour dans les services. L’absentéisme hospitalier marseillais se caractérise par des arrêts de travail plus longs qu’ailleurs : trente jours contre vingt-deux en moyenne nationale. Un absentéisme que les syndicats justifient par le burn-out d’équipes médicales à bout. « On voit des services de réanimation fonctionner avec des effectifs en dessous des normes », assure Danielle Ceccaldi, secrétaire générale de la CGT. Des infirmières sont parfois contraintes d’enchaîner une deuxième vacation après celle qu’elles viennent d’effectuer en raison de l’absence de la relève. « J’en ai vu une sortir en larmes de la chambre d’un malade en soins palliatifs, elle n’avait pu lui consacrer que quatre minutes car elle devait aller apporter des soins aux autres patients », rapporte Solange Teulière (Sud Santé).
Le manque de petit matériel est aussi dénoncé dans tous les services, tout comme la mauvaise organisation des consultations, au nombre d’un million par an. « Les patients passent deux heures au bureau des entrées pour obtenir une étiquette, déplore un chef de service. Même si nos consultations débutent à 8 h 30, on ne voit pas le premier patient avant 10 heures. » Pour ceux qui ont dû faire plusieurs heures de route pour venir à l’hôpital, ce « patron » conseille de monter directement dans le service, sans passer par le bureau des entrées. Mais la consultation n’est pas enregistrée, donc pas payée.