Le leadeur du parti Droit et justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski (au centre de la première rangée), vote en faveur de la réforme judiciaire, à Varsovie, le 8 décembre. / CZAREK SOKOLOWSKI / AP

Après des mois de mises en garde, la Commission européenne a déclenché mercredi 20 décembre contre la Pologne une procédure sans précédent, pouvant aller jusqu’à priver le pays de ses droits de vote dans l’Union européenne (UE), s’il ne renonce pas à ses réformes judiciaires controversées. L’exécutif européen, qui reproche à Varsovie de mettre sa justice au pas, a annoncé son intention d’activer l’article 7 du traité de l’UE, prévu en cas de menaces sur l’Etat de droit et souvent qualifié d’« arme nucléaire » parmi les sanctions possibles au sein de l’Union. Une procédure qui comprend deux volets et qui a peu de chance d’aboutir.

  • Un volet préventif probablement adopté

Le premier volet est préventif, il a pour objet de faire pression sur un Etat qui, comme la Pologne, ne respecterait pas l’Etat de droit. C’est ce premier volet qui a été déclenché mercredi 20 décembre, quand la Commission a appelé les Vingt-Sept à constater qu’il existait « un risque clair de violation grave par un Etat membre des valeurs de l’UE ».

Désormais, Bruxelles réclame des amendements aux lois sur la Cour suprême de Pologne –qui prévoit la mise à la retraite de quelque 40 % de ses juges –, et la fin du pouvoir discrétionnaire dont dispose le président de la République sur la Cour. La Commission exige aussi la refonte des dispositions sur les tribunaux de droit commun, qui a permis au ministre de la justice d’écarter sans ménagement vingt-cinq présidents de tribunaux, et d’en nommer trente-cinq autres. Bruxelles demande également de modifier la loi sur le Conseil national de la magistrature qui politise le processus de nomination des juges.

Elle se dit disposée à attendre trois mois encore avant le passage à l’étape suivante. Ensuite, le conseil des ministres, qui réunit les Etats membres, devra se positionner. L’avis de la Commission sera adopté si la majorité des quatre cinquièmes des membres du conseil des ministres vote en ce sens.

  • Un volet répressif peu probable

Si la majorité des quatre cinquièmes des Etats devrait être atteinte, le second volet, répressif celui-là, a peu de chances d’aboutir. Le pays concerné peut en effet être privé de ses droits, dont celui de participer aux votes, à la condition d’une décision unanime des Etats membres. Mais la Hongrie de Viktor Orban a d’ores et déjà répété qu’elle s’opposerait à une telle mesure. Et il n’est pas exclu que d’autres pays rallient cette position.

Si le volet préventif est adopté, la fin de l’histoire semble toutefois écrite : compte tenu du veto hongrois, la Pologne ne sera pas sanctionnée. La Commission européenne, elle, devra se résoudre au constat de son impuissance. Mais l’article 7 n’est qu’une première étape d’intimidation de la Pologne.

  • Une pression financière envisagée

Plusieurs capitales envisagent désormais de privilégier la piste financière. En clair, de « frapper les mauvais élèves au portefeuille », résume Alain Dauvergne, conseiller à l’Institut Jacques-Delors. Réduire l’enveloppe des fonds européens « serait assurément une sanction ressentie à Varsovie – donc plus efficace qu’un article 7 inappliqué et sans doute inapplicable », assure l’analyste. Pour la période 2014-2020, la Pologne a bénéficié de 73 milliards d’euros d’aides – sans compter la politique agricole.

Le projet est, en tout cas, débattu depuis quelques semaines et l’axe Paris-Berlin a quelques alliés quand il évoque une éventuelle liaison des fonds de cohésion au respect des valeurs démocratiques. Le débat sur le budget pour la période 2020-2026, après le Brexit – qui privera les caisses de l’UE de 10 milliards d’euros –, pourrait fournir l’occasion d’un rappel à l’ordre pour ceux qui, tant pour l’accueil des réfugiés que pour le respect des droits, ont une conception à sens unique de la solidarité.