LES CHOIX DE LA MATINALE

Entre foie gras et huîtres, les salles de cinéma proposent très raisonnablement, un menu léger, ce qui ne veut pas dire inconsistant. Il permettra surtout de voyager, de la Zambie en Israël en passant par l’Italie des « années de plomb » et les Etats-Unis des Années folles.

Shula, la petite sorcière en cage : « I Am Not a Witch »

I am not a witch, Bande annonce, sortie le 27-12-2017
Durée : 01:21

Un beau film, qui révèle le talent d’une cinéaste inconnue en même temps qu’il fait surgir un nouveau pays sur la carte du cinéma, l’événement est aussi rare qu’émouvant. Premier long-métrage de Rungano Nyoni, réalisatrice zambienne, I Am Not a Witch fut pour cette raison même une des belles sensations de la dernière Quinzaine des réalisateurs, à Cannes. Cette histoire de sorcières dans la Zambie d’aujourd’hui inscrit avec grâce une forme de conte dans la réalité d’une Afrique contemporaine, mondialisée, pleinement en prise avec la modernité.

Le destin de Shula, petite fille accusée de sorcellerie, emprisonnée avec ses consœurs conjugue les registres allégorique et fantasmagorique à la peinture réaliste de la société zambienne… Saisissant avec amour les vagues d’effroi, de sidération, de joie, de désespoir, qui glissent sur le visage de Shula, la caméra la filme avec une tendresse infinie.

C’est ainsi, par cette émotion brute jaillissant sur l’écran, que le film touche juste. Le scandale de la condition de ces femmes arrachées au monde, stigmatisées à vie, mises au service d’un pouvoir grotesque, le scandale de l’enfance bafouée, qu’incarne tout à la fois Shula, s’impriment sur son beau visage comme ce tatouage qu’on lui fait sur le front au début du film. La puissance de la fable est à la mesure de cette absolue simplicité. Isabelle Regnier

« I Am Not a Witch », film zambien de Rungano Nyoni. Avec Margaret Mulubwa, Henry B.J. Phiri, Nancy Mulilo (1 h 34).

La rançon de l’amour maternel : « Tout l’argent du monde »

TOUT L'ARGENT DU MONDE - Bande Annonce 2 - VOST
Durée : 02:06

Le sujet du film – le rapt de John Paul Getty III, petit-fils de l’homme le plus riche du monde, en 1973, par une bande mafieuse – destinait Tout l’argent du monde à l’indifférence des plus jeunes. Le remplacement in extremis de Kevin Spacey par Christopher Plummer dans le rôle du grand-père milliardaire et avare a donné une publicité inespérée au film de Ridley Scott.

Le réalisateur de Gladiator y déploie, avec la désinvolture d’un cinéaste qui n’a plus rien à prouver, ses défauts les plus navrants (Tout l’argent du monde est à l’Italie ce qu’Une grande année, le pire film de Scott, est à la Proven­ce). Mais aussi ses qualités les plus éprouvées – manipulation du suspense (Alien) et maîtrise du grand format (American Gangster).

Il met en scène ici son plus beau personnage féminin depuis le sergent ­Ripley d’Alien : Abigail Harris, la mère de l’adolescent enlevé, jouée par Michelle Williams. L’affrontement entre la mère folle d’inquiétude, qui se refuse au désespoir, et l’aïeul indigne donne au film ses meilleurs moments.

Christopher Plummer cherche à trouver un peu d’humani­té au fond de son personnage. Mission impossible : J. Paul Getty, qui fit installer une cabine téléphonique à pièces dans le hall de son manoir anglais pour que ses invités n’abusent pas de son hospitalité, n’avait (selon le scénario de David Scarpa, tiré d’un livre de John Pearson) d’autre fonction que de propager la corruption. Lors­que l’acteur se résout à se laisser aller à l’ignominie de son milliardaire, face à la force vitale qu’incar­ne ­Mi­chelle Williams, Tout l’argent du mon­de touche à la grandeur. Thomas Sotinel

« Tout l’argent du monde », film américain de Ridley Scott. Avec Christopher Plummer, Mark Wahlberg, Michelle Williams (2 h 15).

Un mari pour Hannouka : « The Wedding Plan »

The Wedding Plan - bande annonce - Sortie le 27 décembre 2017
Durée : 01:30

Membre d’une communauté hassidique de Tel-Aviv, Rama Burshtein s’est fait reconnaître en Israël comme cinéaste à part entière, à la fois dans et hors de son ­milieu, l’addition comme l’adhésion de ces deux publics n’étant pas une évidence.

Sur le registre de la comédie romantique, The Wedding Plan, met en scène Michal, une jeune femme de stricte convenance hassidique, la trentaine bien frappée, qui s’aperçoit à un mois de son mariage que son futur ne l’aime pas plus que cela. Effondrée mais volontaire, elle n’annule rien (cérémonie à la synagogue, robe de mariage, traiteur, repas de deux cents convives) et fait le pari de trouver un mari pour le jour convenu, qui se trouve par une heureuse coïncidence être le huitième de la fête d’Hanoukka. Soit le mariage étonnant d’une trame classique de comédie romantique avec l’édification de l’histoire sainte, le cocktail du suspense dramaturgique et du miracle mystique.

Au premier de ses chapitres, comptons une bonne actrice en la personne de Noa ­Koler, la rencontre amusante de dizaines d’hommes à problèmes, et le suspense mené jusqu’à la dernière minute. Sur l’autre versant de la fable, il s’agit de célébrer le miracle d’Hanoukka, cette Fête des lumières célébrant la résistance du judaïsme à l’oppression. En vertu de quoi, Rama Burshtein fait d’une pierre deux coups. Elle signe un film d’une amplitude modeste mais bien troussé, et elle propage selon la tradition hassidique le message d’Hanoukka au plus grand nombre, qui plus est, à la bonne période. Jacques Mandelbaum

« The Wedding Plan », film israélien de Rama Burshtein. Avec Noa Koler, Amos Tamam, Oz Zehavi (1 h 50).

Harold Lloyd à la fondation Jérôme Seydoux-Pathé

Harold Lloyd's SAFETY LAST! - U.S. Re-release Trailer
Durée : 01:22

De son vivant, Harold Lloyd était l’égal de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton. Reconnaissable à son canotier et ses petites lunettes rondes, son personnage de jeune homme discret, socialement intégré, tendu par le désir de prendre sa part du rêve américain et se donnant les moyens d’y parvenir n’a pas connu la même postérité que ses deux illustres contemporains.

La sélection opérée par la fondation Seydoux-Pathé parmi les quelque 200 films interprétés par Harold Lloyd permettra de combler les lacunes des plus jeunes, saturés d’images numériques ou de raviver les mémoires analogiques.

Cet immense acteur burlesque a bâti une œuvre cohérente, réjouissante, reflétant merveilleusement la dynamique des villes américaines de son temps. Rarement passé derrière la caméra, il s’est surtout illustré devant celles d’Hal Roach, futur producteur de Laurel et Hardy, Fred Newmeyer et Sam Taylor. Connu pour ses acrobaties, Harold Lloyd joue aussi formidablement avec les traits de son visage, et n’a pas son pareil pour exprimer l’embarras du timide piégé par son excès d’audace. Il porte son art à son apogée à partir de 1921, en passant au long-métrage avec une série de chefs-d’œuvre, comme Monte là-dessus ou Faut pas s’en faire, qui seront tous deux projetés avenue des Gobelins. I. R.

Jusqu’au 2 janvier, Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 72, avenue des Gobelins, Paris 13e.