Les coraux, malades du plastique
Les coraux, malades du plastique
Par Pierre Le Hir
Les déchets polluant les océans multiplient par vingt les risques de pathologies pour les récifs, selon une étude internationale.
Quelque 11 milliards de débris plastiques jonchent les récifs coralliens dans la zone Asie-Pacifique. Leur nombre pourrait croître de 40 % d’ici à 2025. / Kathryn Berry
Menacés par le réchauffement climatique, l’acidification des océans, les méthodes de pêche destructives ou le tourisme de masse, les coraux le sont aussi, à grande échelle, par les déchets plastiques polluant les mers. C’est ce que met en évidence une étude internationale publiée, vendredi 26 janvier, dans la revue Science. Selon ses auteurs, ces détritus flottants multiplient par vingt les risques, pour les récifs, de développer diverses maladies pouvant conduire à leur dépérissement.
Les mers du globe sont devenues, on le sait, des dépotoirs à ciel ouvert. Chaque année y sont déversées près de 10 millions de tonnes de plastique, selon l’estimation donnée en février 2017 par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Mais les effets de cette pollution sur les écosystèmes marins, en particulier sur les coraux, sont encore mal connus. Or, ces animaux sont particulièrement vulnérables. Si le phénomène de blanchissement – dont une récente étude a montré que les épisodes se multipliaient – est souvent mis en avant, d’autres maladies les affectent également.
Joleah Lamb (département d’écologie et de biologie évolutive de l’Université Cornell à Ithaca, Etats-Unis) et ses collègues ont plongé, pour pêcher des informations, dans la zone Asie-Pacifique, qui concentre plus de la moitié des formations coralliennes de la planète. Durant trois ans, de 2011 à 2014, ils ont étudié près de 125 000 coraux issus de 159 récifs, dans les eaux de quatre pays : la Birmanie, la Thaïlande, l’Indonésie et l’Australie.
Graves pathologies
Il apparaît qu’un tiers des récifs est souillé par de gros débris plastiques – d’un diamètre supérieur à cinq centimètres –, à des niveaux variables. Les plus fortes concentrations sont observées en Indonésie, près des côtes de Bali et de la Papouasie occidentale (25 débris en moyenne par section de 100 m2), et les plus faibles dans les eaux australiennes (de 0,4 à 3 débris), avec des valeurs intermédiaires dans le golfe de Thaïlande (11) et près de l’archipel birman des Mergui (6). Les auteurs estiment qu’au total, les ensembles coralliens de cette zone sont jonchés de quelque 11 milliards de morceaux de plastique. Au rythme actuel de rejet de ces résidus dans le milieu marin, leur nombre pourrait atteindre plus de 15 milliards en 2025.
Joleah Lamb, première auteure de l’étude, inspectant la Grande Barrière de corail. / John Rumney
La conclusion la plus importante de leurs travaux est que cette pollution massive induit de graves pathologies. Selon leurs observations, alors que les récifs exempts de plastiques n’ont qu’un peu plus de 4 % de risque de développer une maladie, la probabilité grimpe à 89 % pour ceux qui en sont recouverts.
Les auteurs se sont penchés plus spécialement sur trois affections, la « maladie d’érosion du squelette », la « maladie de la bande blanche » et la « maladie des bandes noires », qui provoquent toutes trois la dégénérescence des tissus des animaux. Et qui, précisent-ils, sont associées à « une mortalité rapide des coraux ».
Le mécanisme de ces effets délétères reste à explorer, ajoutent les chercheurs. Ils font néanmoins l’hypothèse que les bactéries charriées par les fragments de plastique colonisent et affaiblissent les formations coralliennes, lorsqu’ils entrent en contact avec elles. Des travaux récents ont du reste établi que le manque de lumière et d’oxygène – résultante du dépôt de films plastiques sur les coraux – favorise la propagation d’agents pathogènes.
Des coraux « étouffés » par du plastique. / Lalita Putchim
« Il s’agit d’une étude solide, qui s’appuie sur un très large échantillonnage. Elle est la première à faire le lien entre certaines maladies des coraux et les déchets plastiques », commente Christine Ferrier-Pagès, directrice de recherche au Centre scientifique de Monaco et spécialiste d’écophysiologie corallienne, qui n’a pas participé à ce travail. Elle suggère une autre voie de contamination possible : « Les coraux sont des organismes filtreurs, explique-t-elle. Or, des publications ont montré qu’ils sont attirés par le goût des plastiques frais, peut-être en raison des additifs chimiques qui s’y trouvent. Il se peut ainsi que des bactéries soient disséminées dans leur cavité gastrique par ingestion de particules de plastique. »
Les fragiles coraux ne sont pas seuls en péril. Les récifs sont en effet des oasis de biodiversité abritant environ un tiers des espèces marines connues, qui y trouvent refuge et nourriture. En outre, ils fournissent de précieux services à plus de 275 millions de personnes, dont ils assurent la subsistance directe grâce à la pêche, ou qu’ils protègent contre l’érosion des côtes. Ajoutons, s’il faut un argument monétaire pour convaincre de la nécessité de cesser de transformer les océans en poubelles, que la valeur de ces services a été évaluée à quelque 300 milliards d’euros par an.