Les recours aux prud’hommes en chute libre depuis 2009
Les recours aux prud’hommes en chute libre depuis 2009
Par Bertrand Bissuel
La baisse s’explique en grande partie par l’instauration de la rupture conventionnelle individuelle, sorte de « divorce à l’amiable ».
Infographie Le Monde
Les salariés sont de moins en moins nombreux à demander réparation devant le conseil de prud’hommes. En 2016 – dernière année pour laquelle les données sont connues sur l’ensemble du territoire –, ils étaient un peu moins de 150 000 à porter un litige avec leur patron devant cette juridiction paritaire, dans laquelle siègent des représentants des employeurs et des salariés. Soit un chiffre en repli de « 18,7 % » en un an, précise un document de référence récemment diffusé par la chancellerie. La dégringolade est encore plus spectaculaire si l’on réfère au point haut atteint en 2009 : presque – 35 % en sept ans.
Deux explications sont citées par l’étude du ministère de la justice pour expliquer cette diminution. Il y a tout d’abord « le recours de plus en plus fréquent » à la rupture conventionnelle, un dispositif créé en 2008 qui permet à un patron et à son salarié de mettre fin au contrat de travail – d’un commun accord, en principe. Il rencontre un succès qui va crescendo, avec près de 421 000 séparations homologuées l’an dernier par les services du ministère du travail, un nouveau record. Or le boom de ces divorces « réduit fortement la probabilité » de se tourner vers les prud’hommes.
« Contexte social moins tendu »
Un autre facteur a joué dans le recul des affaires examinées par les juges prud’homaux : « La réforme (…) du 6 août 2015 », mentionne sans plus de précision le document du ministère de la justice. Une allusion à la loi « pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économique », dite aussi « loi Macron », qui a instauré de nouvelles modalités pour saisir les prud’hommes avec, entre autres, l’obligation de remplir un formulaire Cerfa, dont la première version « était compliquée », confie un haut fonctionnaire ; la chancellerie, depuis, l’a « simplifié », ajoute-t-il. Le nombre de pièces à réunir, dès le tout début de la procédure, est, de surcroît, plus important qu’avant, ce qui « a pu rebuter » des salariés, reconnaît Jacques-Frédéric Sauvage, président (Medef) du conseil de prud’hommes de Paris. « C’est en train de se moduler », nuance-t-il.
Les arguments mis en avant au moment de l’examen de la « loi Macron » ont également pesé, selon un magistrat qui connaît très bien le système prud’homal. A l’époque, le législateur entendait remédier à la lenteur de juridictions submergées par le flot de dossiers. « On sent que les débats ont eu un véritable impact sur la présentation du contentieux et leur traitement par les conseils de prud’hommes », complète cette même source. Comme si l’embolie de l’institution, notamment en région parisienne, avait découragé des justiciables et conduit ceux-ci à ne pas poursuivre leur employeur.
L’amélioration de la conjoncture figure parmi les causes susceptibles de peser en faveur d’un reflux des litiges. « On est dans un contexte social moins tendu », considère Richard Muscatel, représentant de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) au sein du Conseil supérieur de la prud’homie. Et le nombre de licenciements économiques, prononcés dans le cadre de plans sociaux, est orienté à la baisse. Toutefois, le poids de ce facteur doit être relativisé car les ruptures de contrat de travail pour des raisons économiques alimentent très peu de dossiers aux prud’hommes : 1 502 en 2016, contre près de 119 000 qui sont issus de la contestation d’un licenciement pour motif personnel (faute commise par le salarié, insuffisance professionnelle, etc.)
Enfin, Gérard Behar, conseiller prud’homal (CFE-CGC) à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), pense que le dépérissement des contentieux est à mettre en relation avec l’émergence d’une nouvelle catégorie de salariés, « jeunes, qui changent facilement d’entreprises et qui ne se syndiquent pas du tout ».
« Complexification de la procédure »
La diminution des requêtes est préoccupante car elle résulte, pour partie, de la « complexification de la procédure, qui crée des problèmes grandissants pour saisir les juridictions », affirme Didier Porte, membre (FO) du Conseil supérieur de la prud’homie. Ceux qui engagent des actions contre leur employeur ont de plus en plus besoin d’être assistés d’un avocat – alors qu’ils n’y sont pas tenus en première instance –, souligne Bernard Augier, président (CGT) du conseil des prud’hommes de Lyon. Se pose alors la question des honoraires à payer : l’aide juridictionnelle, accordée aux personnes à faibles ressources pour faire face aux frais de justice, est censée apporter une réponse mais elle est « difficile à obtenir », enchaîne M. Augier.
« Il se peut qu’à l’avenir, cette évolution à la baisse du nombre d’affaires se poursuive, voire s’accentue, puisque le plafonnement des indemnités, prévu dans les ordonnances de septembre 2017 réformant le code du travail, peut dissuader des salariés ayant peu d’ancienneté de saisir le juge prud’homal d’une contestation », commente Pierre Bailly, doyen honoraire de la chambre sociale de la Cour de cassation. Emmanuel Macron a rendu la procédure « moins intéressante pour les salariés, avec le nouveau barème », observe Me Maude Beckers, du Syndicat des avocats de France (SAF). Le phénomène soulève une question, celle de « l’accès aux droits », reconnaît Me Patrick Thiébart, du cabinet Jeantet, qui conseille des entreprises. En même temps, contrebalance-t-il, « tout était devenu prétexte à une action devant les prud’hommes ». D’après lui, « il vaut mieux que les parties en présence règlent leur litige en amont, par exemple en concluant une rupture conventionnelle, plutôt que de partir dans des contentieux qui durent plusieurs années ».