Manga : « Le Goût d’Emma », dans la peau de la première inspectrice du guide Michelin
Manga : « Le Goût d’Emma », dans la peau de la première inspectrice du guide Michelin
Par Bernard Monasterolo
Emma, tout juste promue inspectrice pour le célèbre guide Michelin, partage dans cet ouvrage dessiné par Kan Takahama ses premières expériences culinaires et professionnelles.
« Le Goût d’Emma » / Les Arènes
C’est une curieuse alchimie qui compose Le Goût d’Emma et son alliage d’auteurs franco-japonais, Emmanuelle Maisonneuve pour le témoignage et Kan Takahama pour le dessin. On aurait cru que le Japon y prendrait plus de place, par le fait que la narratrice, première inspectrice du guide Michelin, a tissé avec ce pays un rapport particulier. Mais aussi parce que le plus grand éditeur japonais, Kodansha, connu en France pour ses mangas, a été séduit très tôt par cette histoire, au point de la publier en avant-première au Japon. Ce manga est publié en France mercredi 28 février.
Les Japonais sont friands de ces récits culinaires, et de cette notion de terroirs immémoriaux qui sont souvent donnés en exemple d’une proximité culturelle forte avec la France. Et il est vrai que la description de ces merveilles gastronomiques nous parle en profondeur de nos traditions, réveille notre appétit, et fait bien travailler notre géographie.
Mais non, le passage consacré au Japon est anecdotique, dans Le Goût d’Emma, comme une parenthèse dans le parcours initiatique de la narratrice.
« Le Goût d’Emma ». / Les Arènes
Les aventures d’Emmanuelle Maisonneuve au sein du guide Michelin ne pourraient être adaptées autrement qu’à l’écrit ou en bande dessinée, au risque de se voir amputées de ce qui fait tout leur sel : la description détaillée des procédés usités au Michelin, la peinture, littéralement, des spécialités gastronomiques, et la façon dont les choses doivent être en matière de bon goût.
Un trio qui pourrait n’être que descriptif mais qui s’agrémente d’une dimension humaine importante car le métier d’inspecteur du Michelin ne s’entend pas sans ses rencontres, parfois improbables. Celle des maîtres initiateurs, tout d’abord, qui vont instruire la jeune apprentie, mais aussi celle de tous les restaurateurs, hôteliers et personnels satellites qui, au-delà de la technicité pure de leur métier, viennent insuffler leur personnalité et leur philosophie personnelle dans la pratique de leur métier.
« Le Goût d’Emma ». / Les Arènes
C’est tout cet univers que vient croquer Kan Takahama, déjà auteure de plusieurs ouvrages sur la société japonaise et le statut des femmes dans cette société (Le Dernier Envol du papillon, Tokyo, amours et libertés). Le choix coule de source tant les thématiques sont proches de celles d’Emmanuelle Maisonneuve : comment s’imposer dans un monde d’hommes, comment échapper aux jugements caricaturaux… Et sur le plan du dessin, Kan Takahama a déjà la réputation d’être la plus européenne des mangakas par un trait moins déformé par les banalités du manga japonais. Si on ne la connaissait pas, on ne saurait distinguer la patte japonaise de la dessinatrice.
On pourrait continuer à lire à l’infini ces chroniques de notre terroir, tout comme on peut regarder sans se lasser des photos de cuisine ou des émissions télévisées sur les secrets de cuistots. Le seul reproche peut-être à faire à l’ouvrage est d’être trop court. Comme dans Le Gourmet solitaire de Jirô Taniguchi, on verrait bien notre héroïne errer indéfiniment dans les régions françaises et japonaises, et continuer de décrire ses expériences culinaires.
Le Goût d’Emma, d’Emmanuelle Maisonneuve & Kan Takahama, Les Arènes BD, tome unique sorti le 28 février, 200 pages, 18 euros.
Emmanuelle Maisonneuve. / Pierre Hybre / MYOP