Au Mozambique, le temps retrouvé
Au Mozambique, le temps retrouvé
Par Adrien Barbier (Johannesburg, correspondance)
Au nord de Maputo, la capitale, se cache l’île qui a donné son nom à cette ancienne colonie portugaise. Une étape idéale avant de s’enfoncer dans la splendeur verte du pays Macua à bord d’un charmant tortillard.
La cité de pierre vue du ponton principal de l’île de Mozambique. / Adrien Barbier pour M le magazine du Monde
Le nord du Mozambique a tout du secret bien gardé. Encadrée par le canal du même nom à l’est, par la Tanzanie au nord, et le Malawi à l’ouest, la région est plutôt difficile d’accès : en avion depuis l’Europe, il faut compter une ou deux escales pour arriver à Nampula, ville de transit sans grand charme. Une fois sur place, plusieurs heures de route sont nécessaires pour atteindre les merveilles qui motivent cette épopée. Sans se presser, il faut apprendre à aimer l’imprévu, seul moyen de se mettre au diapason des Mozambicains.
Le premier de ces trésors se situe à 200 km à l’est de Nampula, face à Madagascar. L’île de Mozambique, qui a donné son nom au pays, est l’ancienne capitale du temps de la colonisation portugaise. Lorsqu’à la fin du XIXe siècle, la ville-île perd son statut au profit de Maputo, elle amorce un lent déclin. Inscrite en 1991 au Patrimoine culturel de l’Unesco, elle connaît un nouveau souffle, porté par un tourisme de moins en moins confidentiel. Ce bout de récif corallien est relié à la terre par un pont de trois kilomètres. Envoûtante, la traversée sur une voie unique, bordée par les eaux turquoise, fait l’effet d’un voyage dans une machine à remonter le temps. D’autant que les lieux sont chargés d’Histoire : Africains, Arabes, Européens et Indiens s’y côtoient et s’y mélangent depuis des siècles.
Cinq siècles de colonisation
A l’origine, cette île cousine de Zanzibar servait de comptoir aux marchands arabes – la Grande Mosquée, toute nappée de vert, est le plus beau vestige de cette époque. En 1498, le navigateur portugais Vasco de Gama « découvre » l’île. C’est le point de départ de cinq siècles de colonisation. Escale obligée sur la route des épices entre Lisbonne et Goa, en Inde, la ville s’enrichit grâce au commerce de l’or, de l’ivoire, des bois précieux et, surtout, des esclaves. Près de 800 000 personnes y embarquèrent en partance pour le Brésil, les Antilles, l’Amérique. Cet héritage colonial reste visible dans l’organisation de la ville, littéralement coupée en deux. Au nord, la cité de pierre renferme les vestiges des palais, églises et boutiques qui ont fait le faste de l’Empire. Au sud, le quartier macuti, aux toits en feuilles de palmier, est peuplé des descendants d’esclaves.
Des enfants posent à la frontière du quartier macuti où se concentre la population. / Adrien Barbier pour M le magazine du Monde
Côté nord, la balade commence à la forteresse de Saint-Sébastien, érigée aux XVIe et XVIIe siècles. Les remparts offrent une vue imprenable sur l’activité des pêcheurs. Les plages, en contrebas, sont les plus propres de l’île – mieux vaut s’y baigner à marée basse, quand le sable blanc règne en maître. En fin d’après-midi, une déambulation dans les ruelles permet de s’imprégner du calme de la pierre et de la magie des lieux, parfois traversés de cris d’enfants. Par moments, les ruines cèdent la place à des bâtisses rénovées avec les matériaux d’antan par des touristes européens tombés amoureux des lieux. Après un apéritif à la buvette située au bout du ponton, face à l’ancien « Palais du roi » (l’intéressé n’y est jamais venu…), on s’attable à l’Ancora d’Ouro, réputée pour ses langoustines et ses crevettes, mais surtout pour sa sympathique ambiance de village.
Vue du paysage depuis le train reliant Nampula et Cuamba. / Adrien Barbier pour M le magazine du Monde
Le quartier macuti, où se concentrent les 14 000 habitants, se visite grâce aux services de jeunes guides. Nichées en deçà du niveau de la mer, dans les anciennes carrières qui ont servi à la construction de la cité, les maisons logent souvent plusieurs familles. En contrebas de l’avenue principale, un argentier façonne des bijoux sur mesure, à même le sol, en faisant fondre d’anciennes pièces de monnaie, récupérées dans les épaves de bateaux qui ont fait naufrage au large.
De Cuamba à Gurué
De retour à Nampula, les amateurs d’authenticité choisiront de s’enfoncer dans le pays Macua, du nom de l’ethnie majoritaire de la région. Un train pour Cuamba assure la liaison deux fois par semaine. Le départ se fait à 4 heures du matin. On monte dans le wagon à tâtons, complètement dans le noir. Le visage des autres passagers ne nous est révélé que quelques heures plus tard, au lever du jour. Les fenêtres dévoilent alors les paysages luxuriants de la région la plus fertile du pays. Eparpillées tout autour, les montagnes en forme de pain de sucre apparaissent. Le train s’y faufile avec nonchalance. Au total, le trajet dure une dizaine d’heures. De quoi rattraper le sommeil perdu, lire et admirer les champs de manioc, bananiers et anacardiers. Faute de wagon-restaurant, il faut profiter des multiples arrêts pour acheter des fruits, cacahuètes et boissons, directement depuis sa fenêtre, aux vendeurs ambulants.
Des vendeurs ambulants ravitaillent en fruits frais les voyageurs du train reliant Nampula et Cuamba. / Adrien Barbier pour M le magazine du Monde
Depuis Cuamba, quatre heures de piste sont nécessaires pour arriver à Gurué. Des transferts en voiture privée existent, mais le voyage peut aussi se faire en chapa, en minibus, l’unité de transport de base au Mozambique. Celui-ci ne part que lorsqu’il est archiplein (les poules et les enfants en bas âge ne comptent pas pour des passagers à part entière…). Certes inconfortable, le trajet est un moment de partage, la promiscuité et le temps passé ensemble facilitant la conversation.
Charmante petite ville bien préservée, Gurué fait très vite oublier la piste cahotique. La pension Gurué organise des excursions au mont Namuli (2 419 m), paradis des randonneurs. Après quelques kilomètres en moto-taxi, l’on se doit de saluer la « reine » des environs, une chef traditionnelle, en lui offrant un kilo de farine, un litre d’huile, deux bouteilles de bière et un kilo de sucre. Une fois la cérémonie d’introduction réalisée, l’autorisation est donnée de gravir la montagne (cinq heures aller-retour) et d’admirer ainsi les vues époustouflantes sur la vallée, ses champs de thé et leurs dizaines de nuances de vert. Une manière apaisante de terminer cette merveilleuse incursion.