Les méthodes disproportionnées d’Israël à Gaza
Les méthodes disproportionnées d’Israël à Gaza
Editorial. La manifestation de Palestiniens, qui s’est tenue dans la bande de Gaza, le 30 mars, a été durement réprimée par l’armée israélienne : dix-huit morts et plus de mille blessés. Et ce alors même que la grande majorité des manifestants ne représentaient pas de menace sérieuse pour Tsahal.
Editorial du « Monde ». « Usage disproportionné de la force. » Cette formule est devenue un classique quant au comportement de l’armée israélienne, qu’il s’agisse d’opérations de guerre à Gaza ou de la gestion de l’occupation au quotidien, en Cisjordanie. Le bilan sanglant de la journée du 30 mars le long de la frontière de la bande de Gaza – 18 morts, près de 1 400 blessés, dont des centaines par des balles réelles – a placé une nouvelle fois Israël sur la défensive.
Dans une communication souvent très éloignée de la réalité constatée sur le terrain, l’armée a essayé de justifier son comportement face à des dizaines de milliers de Palestiniens venus protester dans le cadre de la « grande marche du retour », qui devrait durer six semaines. Mais elle ne convainc guère.
Les manifestants n’ont pas essayé de franchir la clôture frontalière. Dans leur écrasante majorité, ils étaient venus avec des intentions pacifiques. Quelques centaines de jeunes se sont approchés de façon téméraire de la clôture et ont jeté des pierres, brûlé des pneus. Rien qui puisse justifier le feu en retour, et les morts. Seuls deux Palestiniens armés ont été signalés par l’armée israélienne elle-même.
Refusant d’envisager que ces règles d’engagement israéliennes soient condamnables d’un point de vue éthique, l’envoyé spécial de Donald Trump au Proche-Orient, l’avocat Jason Greenblatt, a qualifié la marche d’« hostile ». Comme si les Palestiniens n’étaient pas autorisés à se retourner contre l’occupant israélien. Cette lecture biaisée des événements a confirmé les Etats-Unis comme avocat ardent d’Israël, et Washington a bloqué une déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU réclamant une enquête.
Plus largement, l’administration Trump n’emploie jamais le terme de « droits » ni celui d’« Etat » pour les Palestiniens. Elle ne condamne pas la colonisation, contrairement à toutes les administrations précédentes, républicaines ou démocrates. Elle a prétendu « retirer de la table » la question de Jérusalem, en reconnaissant la ville début décembre 2017 comme capitale d’Israël.
Etrange schizophrénie
Cette décision a été un électrochoc pour les Palestiniens, au-delà du président Mahmoud Abbas. Elle a confirmé l’idée que les négociations de paix classiques, mises en œuvre depuis vingt-cinq ans, ne produisaient aucun résultat. La « grande marche » est une tentative de renouer avec une forme d’opposition à Israël, populaire et pacifique, que le logiciel militaro-sécuritaire a du mal à gérer. Mais personne ne peut prédire les étapes futures de cette mobilisation, si de nouveaux Palestiniens tombent en grand nombre.
L’Etat hébreu s’accommode depuis longtemps d’une étrange schizophrénie au sujet de Gaza. D’un côté, ses plus hauts gradés n’ont cessé d’alerter sur la dégradation humanitaire dans le territoire palestinien, insalubre, économiquement sinistré, étouffé par le double blocus israélien et égyptien. De l’autre, la droite israélienne refuse d’alléger ce blocus, maintenant par exemple une longue liste de produits interdits ou limités, parce qu’ils pourraient servir à des fins militaires pour le Hamas. La punition infligée à une population de deux millions de personnes est tacitement justifiée par une idée : elle ne s’est pas débarrassée du joug du mouvement islamiste. Mais il est vain et absurde d’imaginer qu’une répression sanglante et une vie carcérale produiront des résultats positifs pour la sécurité d’Israël. Sans même parler de dignité humaine.