La crèche de la ZAD, l’autogestion bon enfant
La crèche de la ZAD, l’autogestion bon enfant
Par Rémi Barroux (Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), envoyé spécial)
Sans existence officielle ni reconnaissance par les services sociaux, la garderie parentale de Notre-Dame-des-Landes accueille six enfants, de 18 mois à 5 ans. Loin des folles rumeurs.
L’histoire plaît beaucoup aux enfants : un canard, exploité par un fermier, doit s’acquitter de tâches agricoles, nourrir les autres bêtes… A chaque fois que le paysan lui demande si le travail est fait, le palmipède répond d’un sonore « Coin-coin ». « Le fermier grossissait dans son lit et le pauvre canard n’en pouvait plus de travailler. »
Vient le temps de la révolte des animaux, et, « tout en meuglant, bêlant, gloussant et cancanant, ils se mirent au travail dans leur ferme ». Le fermier s’enfuit et la communauté animale s’en trouve fort aise, gérant la ferme à son envie.
Le Canard fermier de Martin Waddell et Helen Oxenbury (Editions Ouest-France, 1991) est certes usagé, les pages en ont été tournées maintes et maintes fois, mais le message n’a jamais été aussi actuel pour les jeunes parents, trentenaires pour la plupart, venus déposer leurs enfants à la crèche de Saint-Jean-du-Tertre, au cœur de la ZAD, la zone à défendre, de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique).
« Stabule parentale »
Préservés de la tension qui agite les lieux à l’approche de l’intervention attendue des gendarmes mobiles pour expulser les occupants « illégaux », les bambins jouent sur le sol carrelé de la pièce, dans laquelle se trouve la grande cuisine en attendant le repas.
Ce mercredi 28 mars, c’est choux de Bruxelles et lentilles en plat principal. Il y a bien sûr de la viande de temps en temps, des laitages – on est dans une ferme… La « crèche » de la ZAD, que Willem, éleveur à la tête d’une vingtaine de bovins, appelle aussi en riant la « stabule parentale », existe depuis un an.
Au printemps 2017, deux couples de parents, voisins dans ce petit hameau et présents sur la zone depuis plusieurs années, mettent en commun leur temps pour garder leurs très jeunes enfants. Ils décident de les accueillir, alternativement chez eux, à la ferme, ou dans la grande cabane en bois à quelques centaines de mètres.
Dans les deux lieux qui les reçoivent, les mercredis et les vendredis, une pièce est réservée aux jeux et à la sieste. De trois, le groupe a grandi et compte dorénavant six enfants, de 18 mois à 5 ans. Des jumeaux, âgés aujourd’hui de 3 mois, compléteront bientôt la bande. Une heure plus tôt, ils étaient dans l’étable pour voir les veaux et s’amuser un peu avec les céréales qui leur sont destinées.
« Ils sortent systématiquement le matin et l’après-midi, après la sieste, soit pour se promener dans le bocage, soit à l’étable. Gino, un grand de 3 ans, a même déjà fait du tractopelle. Ils adorent participer à la vie de la ferme. Le fait que les enfants soient gardés ensemble nous libère du temps », raconte Greg, l’un des pères, qui travaille non loin, à la ferme de Bellevue.
« Un cadre qui n’est pas commun »
Car, pour alternative et originale qu’elle soit, cette « crèche » répond à des critères précis définis par les parents, même si elle n’a aucune existence officielle ni reconnaissance par les services sociaux. Ce mercredi, deux parents sont présents pour s’occuper du petit groupe – la règle étant un pour trois enfants, deux pour cinq et trois adultes à partir de six enfants.
Alors que le projet d’aéroport était encore sur les rails, et que la bataille entre pro et anti était intense, les rumeurs les plus folles faisaient état d’enfants non déclarés, élevés n’importe comment. Jeannette, Willem, Amans ou encore Greg s’en amusent. « Nos enfants vont chez le pédiatre, quand cela est nécessaire, même si certains d’entre nous préfèrent l’homéopathie et l’ostéopathie », témoigne Greg.
En septembre, certains enfants rejoindront probablement les bancs de l’école voisine. Les plus grands partagent d’ailleurs déjà leur temps entre la crèche de la ZAD, l’école maternelle ou la halte-garderie du village. « On les fait grandir dans un cadre qui n’est pas commun, ils vivent dans notre monde communautaire, mais c’est important qu’ils soient aussi confrontés à d’autres adultes. La halte-garderie apporte d’autres choses, un environnement traditionnel », explique Jeannette, jeune maman et charpentière de marine.
Le groupe de parents, qui doit accueillir bientôt de nouveaux arrivants, se réunit régulièrement pour discuter des activités, de l’éducation qu’ils aimeraient donner à leurs enfants, du rapport à l’institution scolaire, ou encore des avantages de la pédagogie Montessori [une méthode encourageant l’initiative et l’autonomie chez l’enfant]. Autant de discussions finalement banales.
Chaque dimanche soir, les parents inscrivent sur le planning de la semaine leur présence et celle de leurs enfants. « Ils apprennent à vivre ensemble, comme nous. Ils commencent à trouver leurs propres jeux, à faire attention l’un à l’autre, c’est super, mais il faut assurer une certaine régularité, que ce soit bien organisé », insiste Amans, en train de préparer des sablés avec la petite Nina. L’avenir dira si l’évacuation d’une partie de la ZAD, qui devrait avoir lieu lundi 9 avril, signera la fin de l’expérience pédagogique.