« Fortnite », le jeu vidéo qui pulvérise tous les records d’audience
« Fortnite », le jeu vidéo qui pulvérise tous les records d’audience
Par William Audureau
Ce jeu de survie bondissant s’est imposé en quelques mois comme un phénomène hors norme, avec des audiences records sur Internet et des dizaines de millions d’adeptes.
« Donc tout le monde joue à Fortnite. Mais genre, vraiment tout le monde. » La remarque, ébahie et admirative, lâchée sur Twitter par un expert du marché du jeu vidéo, résume avec humour et simplicité un constat unanimement partagé : le jeu de tir Fortnite s’est mué depuis quelques mois en un phénomène mondial d’une ampleur impressionnante.
Epic, son éditeur, revendiquait déjà la bagatelle de 40 millions d’utilisateurs en janvier. Si l’on se fie au cabinet Newzoo, un joueur sur six s’était adonné à Fortnite en février ; sur la plate-forme YouTube, il devenait alors le titre le plus actif devant Minecraft. En mars, il a atteint le statut de jeu vidéo le plus regardé sur un mois de l’histoire de la plate-forme Twitch, devant League of Legends.
Fortnite Battle Royale - Mobile Reveal Trailer
Durée : 00:34
Son succès est tel que, selon Bloomberg, les cours de Bourse des géants américains concurrents Activision-Blizzard (Call of Duty, Destiny) et Take Two (Grand Theft Auto) ont respectivement dévissé de 11 et 12 % en mars par sa faute, leurs clients se reportant sur le nouveau jeu à la mode.
Au point que la popularité de Fortnite est maintenant devenue un sujet de plaisanterie… et d’inquiétude. Depuis la fin mars, le lancement d’une version mobile a par ailleurs encore accru la présence du titre, désormais accessible sur n’importe quelle plate-forme, n’importe quand. Comme le relève le site spécialisé Kotaku, les enseignants se plaignent désormais de réseaux Wi-Fi saturés et d’élèves happés en cours par leurs parties.
Changement de fusil d’épaule
Fortnite, c’est ce que l’on appelle un « battle royale », un jeu de survie opposant 100 joueurs entre eux, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un. Son succès est d’autant plus étonnant qu’il y a encore huit mois, il appartenait à un tout autre genre, celui de la chasse aux zombies. « Le cœur de Fortnite, c’est explorer, construire et défendre, on était excités à l’idée de retrouver de ces sensations de notre enfance », expliquait en juin au Monde Tanya Watson, son producteur exécutif, alors que son mode à 100 n’avait pas encore été annoncé.
Mais à l’été 2017, PlayerUnkown’s Battlegrounds (PUBG), un jeu en chacun pour soi à 100 adversaires en même temps développé par les Coréens de BlueHole, bat record de popularité après record de popularité. L’éditeur américain de Fortnite, Epic (Unreal Tournament, Gears of War, le moteur technologique Unreal Engine) joue alors son va-tout et lance en septembre un mode de jeu inspiré de ce dernier, orienté survie, chacun pour soi, course à l’équipement, pièges retors et mitraillage à vue.
Le concept, hérité d’une version modifiée de la simulation militaire ArmA et central dans le phénomène PUBG en 2017, s’enrichit ici de fonctionnalités de construction inattendues et ludiques, chaque participant pouvant à tout moment bâtir des escaliers ou des murs. En seulement six mois, le voilà passé de battle royale improvisé à battle royale le plus populaire.
Je viens de passer 20mn sur Fortnite. J'en retiens que:
- Je suis moyennement à l'aise à l'idée de piller des bâtim… https://t.co/VvNbnkSbkY
— DrHercouet (@Thomas Hercouët)
Chouchou des collèges et des lycées
Au lycée Saint-Joseph d’Auxerre (Yonne), où Le Monde est venu faire un atelier autour de la presse en mars, ils sont ainsi nombreux à s’y adonner. « Les mécaniques de jeu sont simples, tout le monde comprend facilement ce qu’il se passe, et en plus, contrairement aux autres battle royale, il est disponible sur toutes les plates-formes », explique Charles, 16 ans, en 1re STMG. Nino, 17 ans, souligne lui que « c’est un style de jeu assez simple, on peut faire une pause pendant six mois, on ne sera pas largué ».
L’ambiance décalée, les fonctionnalités ludiques et la simplicité d’accès de « Fortnite » ont beaucoup fait pour son succès. / Epic
Corentin, 17 ans, se remémore avec fierté sa meilleure partie : « J’étais seul contre quatre avec seulement un pistolet-mitrailleur silencieux : j’ai éliminé toute la team, c’était wow ! » Mais chacun peut y trouver un plaisir différent. « Les graphismes sont réussis, ça ressemble à la réalité tout en étant un peu enfantin », observe Lola, 16 ans. « Ce n’est pas qu’un jeu où il faut tuer, on construit aussi des choses, ça change des jeux de guerre », souligne pour sa part Lisa, 16 ans.
Pour autant, tous n’ont pas cédé à la « fortnitemania ». Julie ne voit même pas l’intérêt. « Ça n’apporte rien dans la vie, vaut mieux aller à la chaîne que de jouer à ça ! » « C’est un effet de mode », déplore Andréa, 16 ans.
Une ascension fulgurante
Et de fait, depuis septembre, le jeu n’a fait que grimper en popularité. En février, pour la première fois, il déloge PUBG de la seconde place des jeux les plus regardés sur Twitch, derrière League of Legends. Tous les indicateurs montrent un emballement, alors que PUBG, jusqu’alors le plus streamé, commence à légèrement décliner.
Sur Twitch, « Fortnite » a dépassé « PUBG » et atteint des records de popularité. / Gamoloco
Le mois de mars a été historique. Fortnite est devenu le second jeu sur Twitch à dépasser les 100 millions d’heures de visionnage par mois, battant le record de League of Legends (118 millions contre 103). Selon le site d’analyse des contenus vidéos Gamoloco, « il y a désormais plus de gens qui diffusent Fortnite que League of Legends, PUBG, DoTA 2 et Counter-Strike : Global Offensive réunis. »
A lui seul, Ninja, son joueur star, réalise de meilleures audiences que toutes les chaînes réunies de la plupart des jeux. Le 13 mars, sa session de jeu en direct avec le rappeur Drake a réuni 630 000 spectateurs, encore un record. Sur Youtube, un stream a atteint les 1,1 million de spectateurs simultanés. Un rap dédié à Fortnite a été visionné la bagatelle de 15 millions de fois.
The Fortnite Rap Battle | #NerdOut ft Ninja, CDNThe3rd, Dakotaz, H2O Delirious & More
Durée : 04:27
Nouvelle rivalité entre joueurs
La rivalité entre joueurs de PUBG et Fortnite mériterait presque d’ores et déjà d’être inscrite dans l’histoire du jeu vidéo, tant elle évoque celles, iconiques, entre possesseurs de consoles Sony ou Nintendo, ou fidèles de FIFA ou Pro Evolution Soccer.
Conversation classique sur les réseaux sociaux. / Capture d'écran
D’un côté, les aficionados d’un battle royale pur, âpre, réaliste et sans concession, fait de cartes immenses et de balistique exigeante. De l’autre, les tenants d’une approche plus décomplexée, à l’univers cartoon, au rythme de jeu plus soutenu, aux affrontements plus ludiques. A ce jeu-là, Fortnite est en train de s’imposer.
Ce renversement de situation se joue dans des détails, comme l’esthétique colorée qui facilite le repérage des adversaires, ou l’absence de bouton pour se coucher à terre, choix drastique qui élimine de fait les « campeurs », ces joueurs irritants qui aiment attendre, camouflés dans l’herbe, pour tirer à distance. Tout est fait pour rendre le jeu plus vivant et spectaculaire.
« Fortnite » a été conçu pour offrir une expérience plus intense et bondissante que « PUBG », qui privilégie l’attentisme. / BlueHole
Le jeu repose également sur un modèle économique différent : contrairement à PUBG, qui coûte 30 euros, Fortnite est accessible gratuitement, se rémunérant à la place sur des transactions optionnelles, comme des skins, des costumes souvent loufoques.
Afin d’accroître encore sa popularité, Epic doit organiser en juin le Fortnite Celebrity Pro-Am, un tournoi de prestige réunissant les 50 meilleurs joueurs du jeu et 50 célébrités mondiales.
« Tant d’espoirs au début »
« Fortnite », une approche décomplexante du « battle royale », ces matchs à 100 joueurs. / Epic
Le succès de la version battle royale de Fortnite ne fait pas que des heureux. Chez ses concurrents, bien sûr, et notamment Bluehole (PUBG). Le studio coréen a déclaré s’être estimé trahi par Epic, qui est son fournisseur de technologies.
De leur côté, les premiers adeptes de Fortnite, ceux qui ont adhéré au jeu à l’époque où il n’était question que de zombies à battre dans un mode aventure, sont aujourd’hui délaissés.
Accessoirement, avec sa dimension compétitive et ses hordes de fans surentraînés, le jeu d’Epic est une perpétuelle leçon d’humilité pour les trentenaires un peu rouillés, comme le relève sur Twitter un Texan philosophe : « La vie est comme Fortnite. Vous avez tant d’espoirs de succès et tant d’opportunités au début, mais au bout de quelques secondes, vous vous faites sniper par un enfant de 10 ans, et c’est fini. »