Le représentant russe à l’ONU, Vassily Nebenzia, le 10 avril. / HECTOR RETAMAL / AFP

Donald Trump s’est donné encore un peu de temps avant de mettre à exécution ses menaces. Lundi 9 avril, il avait assuré que le régime de Damas paierait « au prix fort » le nouveau bombardement chimique d’une zone rebelle qui lui est imputé. Le lendemain, pendant que les ­Nations unies étaient le théâtre d’un nouveau blocage sur la Syrie, la Maison Blanche a annoncé que le président des Etats-Unis ne se rendrait pas au sommet des Amériques prévu les 13 et 14 avril à Lima, au Pérou, « afin de superviser la réponse américaine ».

Après avoir multiplié les contacts avec son homologue français, Emmanuel Macron, il s’est entretenu mardi avec la première ministre britannique, Theresa May, qui a besoin d’un accord du Parlement pour que son pays participe à l’opération. L’objectif est d’obtenir le soutien d’un maximum de pays.

M. Macron a précisé sa position lors de sa conférence de presse avec le prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salman. Annonçant que la France précisera « dans les prochains jours » sa réponse, il a souligné : « En aucun cas les décisions que nous prendrions n’auraient vocation à toucher des alliés du régime ou s’attaquer à qui que ce soit, mais bien à s’attaquer aux capacités chimiques détenues par le régime. » D’où d’intenses échanges d’informations techniques et stratégiques avec les services américains et britanniques. Il s’agit de ne pas se limiter à une frappe symbolique, mais le chef de l’Etat dit aussi « ne souhaiter aucune escalade dans la région ».

Dans les travées onusiennes, le même jour, la question n’a d’ailleurs pas été de savoir si des frappes allaient être mises en œuvre, mais quand. Le Conseil de sécurité de l’ONU avait été saisi par les Etats-Unis sur un projet de résolution relançant un mécanisme d’enquête pour désigner les responsables d’attaques chimiques en Syrie. Cette initiative faisait suite au bombardement aux gaz neurotoxiques sur la localité de Douma, le 7 avril, dont les Occidentaux attribuent la responsabilité à l’armée de Bachar Al-Assad, avec, selon eux, l’accord tacite de Moscou, voire de l’Iran, selon Donald Trump.

Comme les Etats-Unis l’escomptaient sans doute, la Russie, alliée de Damas, a mis son veto. Le représentant russe, Vassily Nebenzia, a dénoncé un vote sciemment organisé pour aboutir à une impasse et « justifier des frappes en Syrie ». Laissant planer le spectre de l’échec de leur intervention en ­Libye et de l’enlisement irakien, il a appelé Washington et ses alliés à renoncer à ce qu’il a qualifié d’« aventure militaire illégale ». Ce sont « des jeux géopolitiques méprisables » et cette « dynamique militaire agressive » précipitera, ­selon lui, toute la région « dans l’aventurisme ». « Nous sommes au seuil d’un événement très grave. Abstenez-vous des plans que vous avez pour la Syrie », a-t-il conclu à l’adresse de ses homologues.

« Dangereuse banalisation »

L’ambassadeur de Russie au Liban, Alexander Zassipkine, cité mardi par la chaîne de télévision Al-Manar, qui appartient au Hezbollah, engagé militairement aux côtés de Bachar Al-Assad, a averti qu’« en cas de frappe américaine (…), les missiles seront abattus et même les sources d’où proviennent ces missiles seront prises pour cibles ». Le diplomate a dit se référer à une déclaration du président russe, Vladimir Poutine, et du chef d’état-major des armées russes.

Aucun des membres occidentaux du Conseil n’a fait mardi référence à l’imminence de frappes punitives. Paris et Washington s’en sont tenus à une condamnation très ferme de l’usage d’armes chimiques, qui laisse présager pourtant une action militaire qui viserait essentiellement ce type d’armes.

« Tolérer le retour de ces agents de terreur et de mort n’est ni plus ni moins qu’un blanc-seing à tous ceux qui voudraient en user »

François Delattre, le représentant français, a ainsi dénoncé la « dangereuse banalisation » de leur usage. En moins d’une semaine, le Conseil de sécurité s’est réuni il est vrai à quatre reprises à propos de leur utilisation, que ce soit dans le cadre de l’enquête sur la tentative d’assassinat de l’agent double russe Sergueï Skripal et de sa fille au Royaume-Uni, ou de l’attaque de Douma. « C’est dire la gravité des enjeux aujourd’hui pour notre sécurité à tous », a plaidé M. Delattre, qui a assuré que « la France mettra tout en œuvre pour empêcher l’impunité chimique ». « Tolérer le retour de ces agents de terreur et de mort n’est ni plus ni moins qu’un blanc-seing à tous ceux qui voudraient en user », a-t-il ajouté.

La représentante américaine, Nikki Haley, n’a pas dit autre chose. Elle a estimé que le projet de résolution de Washington pour relancer un mécanisme d’enquête était « bien le minimum » que pouvait faire le Conseil. Avec ce veto, « l’Histoire se souviendra que la Russie a choisi de protéger un monstre plutôt que la vie du peuple syrien », a-t-elle assené.

Plus tôt, fidèles à leur stratégie de diversion, les Russes avaient tenté de jouer la montre et de tirer parti des divisions du Conseil sur le chimique en proposant deux autres textes, qui ont été rejetés. Le premier prévoyait la création d’un mécanisme d’enquête dans lequel il revenait au Conseil d’attribuer les responsabilités – un moyen pour Moscou de continuer à protéger son allié syrien. Le deuxième texte autorisait les inspecteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques à se rendre, sous la protection des autorités syriennes et des militaires russes, dans le secteur de Douma pour recueillir des échantillons. Mais des enquêteurs ont déjà prévu de s’y rendre prochainement.

« Rétablir des lignes rouges »

La volonté américaine de se concentrer sur la problématique des armes chimiques est cohérente avec la vision stratégique présentée en décembre 2017, qui met en garde contre leur prolifération. « L’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien contre ses propres citoyens sape les normes internationales contre ces armes odieuses. Elle peut encourager davantage d’acteurs à s’en doter et à les utiliser », précisait d’ailleurs ce document. La mise en cause de la Russie permet également de dénoncer le comportement général de Moscou, sanctionné deux semaines plus tôt pour l’affaire Skripal par l’expulsion de soixante diplomates, et encore vendredi par des mesures punitives visant trente-huit personnes et entreprises.

Cette position permet aussi et surtout de gagner en cohérence en évitant de mettre en évidence l’absence d’une stratégie américaine claire en Syrie. Donald Trump a en effet créé la surprise, en avril, en faisant part, à plusieurs reprises, de sa volonté de s’en désengager en retirant les troupes américaines déployées dans le nord-est du pays.

Le Pentagone et le département d’Etat jugent au contraire nécessaire de s’engager dans la durée. Le contrôle de l’arsenal non conventionnel syrien a d’ailleurs été un élément retenu pour justifier cet effort à long terme, présenté en janvier.

Si une action coordonnée des Occidentaux devait avoir lieu prochainement, ce serait pour « rétablir des lignes rouges sur le chimique qui ont été allégrement franchies depuis 2013 et le renoncement de l’ex-président [Barack] Obama à intervenir », a estimé mardi un diplomate, qui ne veut pas y voir « le signe d’un réengagement américain sur le dossier politique syrien ». A moins, estime un autre, « de convaincre les Américains, qui ont fait le choix de la fermeté vis-à-vis de Téhéran, que le principal danger iranien se situe en Syrie ».