Film sur Canal+ Cinéma à 20 h 50

JACKIE | OFFICIAL TRAILER | FOX Searchlight
Durée : 02:26

Jackie a l’art de substituer des ­semelles de vent au plomb du biopic intégral et illustratif. Sa formule tient dans une réduction tous azimuts. Moment historique précis et aigu : une semaine après l’assassinat de JFK. Instance narrative circonstanciée : Jackie reçoit, sur la terrasse de la maison de vacances des Kennedy, un journaliste pour sa première interview dans le magazine Life. Focalisation extrême sur l’héroïne : Natalie Portman, en mode mimétique absolu, est de tous les plans. A partir de ce noyau dur, le film rayonne librement dans le temps et l’espace, cultive la fragmentation narrative, mélange avec une intelligence souveraine reconstitution et archives, s’emploie dans un 16 millimètres chromatiquement explosif, et sur une composition funèbre magnifiquement dissonante de Mica Levi, à reproduire les chromos d’époque pour mieux les retourner.

Ce déploiement formel, d’une intense délicatesse, raconte une histoire à certains égards aussi froide que la mort : à savoir, jusque dans son affliction, le stupéfiant sens de la mise en scène de Jackie Kennedy, veuve éplorée qui va se battre sur tous les fronts pour commencer à écrire comme elle l’entend la légende du défunt président. C’est sa confrontation au rasoir avec le journaliste politique Theodore H. White, chargé de consigner ce tout premier témoignage pour Life.

Président Lincoln et roi Arthur

C’est son introduction dans cet entretien du motif de Camelot, qui compare le mandat de JFK au règne du roi Arthur dans ce séjour légendaire et édénique. C’est enfin sa lutte avec le service de sécurité présidentiel pour obtenir des funérailles à pied et à cheval, dans un décorum délibérément emprunté aux obsèques et à la légende d’un autre président que son assassinat a contribué à sanctifier : Abraham Lincoln.

Deux mythes, dont l’idéalisme serait le point commun, se superposent ici. Celui, proprement américain et démocratique du président Lincoln. Et celui, ­anglais et monarchique, du roi Arthur. Cette collusion résume peut-être mieux que tout la personne qu’était Jackie Kennedy, qui avait compris très tôt et mieux que personne que la politique, est aussi, et peut-être surtout, une affaire de symbole et de design. En témoignent sa prise en charge immédiate de la décoration de la Maison Blanche qu’elle dit vouloir « partager avec les Américains », sa visite télévisée des appartements privés du bâtiment dans une émission de CBS du 14 février 1962 qui casse la baraque, le soin maniaque qu’elle porte à sa propre image, sa volonté enfin de transférer publiquement le corps des deux enfants morts du couple dans le tombeau présidentiel et familial d’Arlington.

Natalie Portman dans le rôle de Jackie Kennedy. / BAC FILMS

Il y a là, entre émotion et calcul, tragédie et comédie, une manière d’inscrire le président John Kennedy et sa famille dans une perspective idéalisée qui ne correspond évidemment pas à ce que fut la réalité politique et familiale des Kennedy. Même la référence à la légende arthurienne, en dépit de son marquage royal, puise en vérité dans le show-business, puisqu’elle est motivée par l’amour que le couple Kennedy aurait porté à la comédie musicale Camelot (écrite par Alan Jay Lerner et Frederick Loewe), qui triompha à Broadway de 1960 à 1963.

Prenant le ­risque d’être considéré pour le meilleur comme une hagiographie, pour le pire comme un exercice formaliste, Jackie est infiniment mieux que cela : un film réflexif qui montre que le style est une affaire politique.

Jackie, de Pablo Larrain. Avec Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Billy Crudup, Greta Gerwig (EU, 2017, 1 h 40).