En Libye, le retour du maréchal Khalifa Haftar dissipe les craintes d’un vide de pouvoir
En Libye, le retour du maréchal Khalifa Haftar dissipe les craintes d’un vide de pouvoir
Par Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)
L’homme fort de la Cyrénaïque a regagné jeudi Benghazi après deux semaines d’hospitalisation à Paris. Son absence a attisé les craintes de querelles fratricides au sein de son camp.
Son hospitalisation, et le silence qui s’est ensuivi une quinzaine de jours durant, avait jeté l’émoi en Libye, où les rumeurs sur sa succession s’étaient emballées. Le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque et patron de l’Armée nationale libyenne (ANL), a finalement regagné jeudi 26 avril Benghazi, la métropole de la Libye orientale dont il a fait son bastion. Il avait été hospitalisé le 11 avril dans un établissement parisien pour des complications cardiaques.
Agé de 75 ans, M. Haftar, protagoniste central des efforts de règlement de la crise libyenne, a été accueilli par les généraux de l’ANL sur le tarmac de l’aéroport de Benghazi alors que son camp s’apprête à célébrer le quatrième anniversaire de la campagne militaire « Karama » (Dignité) déclenchée au printemps 2014 contre les groupes islamistes armés dans cette région. Vêtu d’un costume-cravate de couleur noire, et souriant, M. Haftar a affiché une santé apparente prenant radicalement à contre-pied les spéculations les plus échevelées l’ayant présenté comme mort, ou frappé d’incapacité. L’absence – apparemment délibérée – de tout document photo ou vidéo attestant de son rétablissement médical a contribué à la propagation d’informations erronées.
Le retour à Benghazi du maréchal met ainsi un terme à la confusion qui s’était installée dans son propre camp, agité par la perspective d’une crise de succession. L’attentat à la voiture piégée, dont avait réchappé près de Benghazi le 18 avril Abdulrazzak Al-Nazuri, chef d’état-major de l’ANL, avait illustré ce péril d’un vide de pouvoir. Dans les chancelleries diplomatiques, notamment occidentales, l’inquiétude de voir la Cyrénaïque basculer dans des affrontements fratricides est réelle.
Personnalité très puissante de la Libye orientale, mais animée d’ambitions nationales, M. Haftar incarne un courant militariste et autoritaire avec lequel les Nations unies et les capitales européennes ont dû composer, en particulier après qu’il a conquis le Croissant pétrolier (principale plate-forme d’exportation du brut libyen) à l’automne 2016. M. Haftar est très soutenu par l’Egypte et les Emirats arabes unis (EAU).
Une configuration politico-militaire en question
Depuis qu’il a pris ses fonctions il y a un an, Ghassan Salamé, chef de la Mission d’appui des Nations unies pour la Libye (Manul), multiplie les navettes pour tenter de rapprocher les points de vue entre Haftar et Faïez Sarraj, le chef du gouvernement d’« accord national » établi à Tripoli (Ouest) et soutenu par la communauté internationale. Le maréchal Haftar a toujours refusé d’admettre la légitimité du gouvernement de Sarraj, qu’il estime illégal et soutenu par de simples « milices ».
M. Salamé tente de résorber cette fracture entre l’Ouest et l’Est libyens en tentant, pour commencer, par réunifier leurs institutions militaires respectives. Son plan prévoit notamment de futures élections législatives et présidentielle, initialement prévues cette année, dans le but de refonder la légitimité d’un pouvoir réunifié.
La grande question que pose désormais le retour de Haftar est celle de la configuration politico-militaire de son propre camp. Ce dernier va-t-il sortir indemne de l’épisode alors que les rumeurs sur l’état de santé du maréchal hospitalisé ont pu libérer des ambitions jusque-là discrètes ? Il faudra notamment surveiller l’évolution du rapport entre Haftar et Aguila Saleh, le président du Parlement (élu en juin 2014) exilé à Tobrouk dans la foulée de l’éclatement de la guerre civile de l’été 2014 entre l’ANL du maréchal Haftar et le bloc militaire dominant en Tripolitaine (Ouest) où les islamistes exerçaient une influence significative. M. Saleh a longtemps été un soutien indéfectible à M. Haftar mais leurs relations s’étaient dégradées ces derniers mois.
Une autre incertitude tient dans l’avenir de l’alliance que Haftar avait su constituer avec les grandes tribus de la Cyrénaïque, notamment avec celle des Awagir qui affiche des prétentions historiques sur la ville de Benghazi. Les relations entre les Awagir et la garde rapprochée de Haftar, issue de la tribu des Ferjani – originaire de la Tripolitaine –, s’étaient détériorées en 2017. Enfin, la manière dont Haftar parviendra à contrôler ses alliés salafistes dits « madkhalistes » (non djihadistes), devenus influents en Cyrénaïque au point de jouer un rôle de police morale très coercitive, pèsera sur le paysage politico-militaire de cette région.
Une absence de communication préjudiciable
Etait-ce pour y voir plus clair sur son propre camp que le maréchal Haftar a refusé de diffuser tout témoignage sur son véritable état de santé durant son hospitalisation ? Alors qu’il lui aurait été facile de tuer la rumeur en répondant favorablement aux sollicitations des médias, qui n’ont pas manqué, ou en laissant ses services de communication diffuser des photos ou enregistrements vidéo attestant de l’amélioration de sa santé, M. Haftar a opté pour un long silence.
« Il voulait laisser le tableau s’éclaircir afin de voir qui était fort et qui était faible », confie au Monde un de ses proches, qui l’a rencontré à Paris trois jours après son hospitalisation. La stratégie de communication du maréchal a permis de poser pour la première fois la question de l’« après-Haftar » en Libye. L’épisode lassera de toute évidence des traces.