«Les anges portent du blanc » : quand la Chine lave plus blanc le crime sexuel
«Les anges portent du blanc » : quand la Chine lave plus blanc le crime sexuel
Par Clarisse Fabre
La réalisatrice Vivian Qu raconte les dérives d’une société corrompue.
Les bonnes fées ne peuvent rien pour les anges, et les féministes attendront leur tour de manège. De son côté, l’héroïne du film onirique Les anges portent du blanc va prendre la fuite dans sa robe de Marilyn qui devait lui servir à séduire le client. Dans le deuxième long-métrage de Vivian Qu, sélectionné en compétition officielle à la Mostra de Venise en 2017, la société chinoise ressemble à un bonbon plus amer qu’acidulé, à l’image de ce parc d’attractions graphique et coloré qui hante le film mais n’attire pas foule. Comme si les gigantesques toboggans n’étaient là que pour avertir que l’enfance et l’innocence vont irrémédiablement disparaître au tournant.
Dans son premier « long », Trap Street (2013), Vivian Qu, figure du cinéma indépendant chinois, plongeait le spectateur dans un univers kafkaïen : celui d’un jeune homme chargé de cartographier une ville mais s’apercevant que la ruelle empruntée par la femme qui l’attire n’est pas répertoriée… Vivian Qu est aussi la productrice de Black Coal, le polar de Diao Yinan couronné par l’Ours d’or au festival de Berlin, en 2014. Dans Les anges portent du blanc, dont elle a écrit le scénario, on suit à travers le personnage d’une employée d’hôtel une enquête haletante, qui vise à élucider l’agression sexuelle commise sur deux toutes jeunes adolescentes.
Tourments intérieurs
Un homme d’âge mûr débarque dans un motel situé en bord de mer, avec deux fillettes bruyantes qui ont l’air d’avoir tout au plus 11 ou 12 ans. Le client prend deux chambres, une pour lui, une autre pour les « ados » qui ne tardent pas à commander des bières. L’employée au guichet, Mia, s’exécute en silence. Grâce aux (ou à cause des) caméras de surveillance, elle comprend vite ce qui se trame. Dire la vérité ? Mia, qui est sans papiers, redoute de perdre son emploi. Le lendemain matin, les deux copines repartent au collège avec une double gueule de bois.
Mia est l’héroïne du film, celle qui possède les clés de l’intrigue et finit par sortir de son dilemme en s’émancipant. On la découvre telle une Rosetta – l’héroïne des frères Dardenne – chinoise qui trime, enchaîne les corvées de ménage, quasi mutique dans cet établissement sans charme tenu par un patron sans vergogne. L’actrice Wen Qi réussit un exploit : on lit sur son visage tous ses tourments intérieurs, alors qu’elle garde obstinément son « masque » de taiseuse obsédée par la survie.
Collégiennes marionnettes
Le suspense est habilement entretenu par des personnages secondaires qui viennent tirer des ficelles et installent une tension : une avocate féministe qui cherche à tout prix des preuves ; les parents de l’une des fillettes qui manœuvrent pour étouffer l’affaire, persuadés que leur fille s’en sortira mieux dans la vie sans le statut de victime, etc. La colère se livre hors champ dans ce film tout en retenue, presque austère.
A l’écart du combat que se mènent les adultes, les collégiennes ne sont plus que des marionnettes que l’on tourne et retourne pour les besoins de l’expertise médicale et gynécologique. Se sentent-elles mal, souffrent-elles d’un traumatisme ? On ne leur demande pas leurs états d’âme, et lorsque l’une d’elles lance, presque candidement à sa copine, « tu as entendu, le médecin a dit qu’on n’a rien ! », on comprend que la phrase pourrait avoir un effet performatif : si la blouse blanche le dit, c’est donc vrai…
Le blanc n’est plus la couleur de la pureté mais celle de la quête impossible de l’honnêteté, ou plus trivialement de la propreté : c’est le blanc taché des draps de l’hôtel qu’il faut vite nettoyer ; celui du drap de l’hôpital qui recouvre les corps et symboliquement cache coups et blessures ; celui, enfin, de la robe de l’immense statue de Marilyn qui trône sur la plage à côté du motel et fascine Mia. Elle ne cesse de la photographier dans ses moments de liberté, jusqu’au jour où le sex-symbol est enlevé de son socle par une entreprise de transport. Une scène solaire et terrifiante : on lui troue les pieds, elle tombe, on la malmène, comme on pourchassait autrefois les sorcières et toutes les femmes hors-norme.
Vivian Qu maîtrise le film de bout en bout, peut-être un peu trop, avec le risque de l’empêcher (un peu) de respirer. Mais c’est peut-être le but de la réalisatrice : nous montrer une Chine irrespirable, et pas seulement à cause de la pollution.
Bande Annonce officielle du film "Les anges portent du blanc" de Vivian Qu
Durée : 01:35
Les anges portent du blanc, film chinois de Vivian Qu, avec Wen Qi, Zhou Meijun, Peng Jing (1 h 47). Sur le web : www.rezofilms.com/distribution, www.facebook.com/RezoFilmsDistribution