Editorial du « Monde ». Près de soixante ans et 829 morts après sa création, l’organisation séparatiste basque ETA a officialisé, jeudi 3 mai, sa dissolution, avec une mise en scène qui n’est guère parvenue à masquer sa défaite militaire et politique. C’est une bonne nouvelle pour l’Espagne et en particulier pour le Pays basque, mais une nouvelle qui arrive bien tard. Le pays et la région avaient en réalité déjà commencé à tourner la page lorsque l’organisation avait annoncé, le 20 octobre 2011, la fin d’une activité armée qu’elle n’était plus capable de mener. Au moment de son démantèlement officiel, les effectifs d’ETA n’atteignent même pas deux douzaines.

Qu’a obtenu ETA, à l’issue de ces décennies de lutte meurtrière, qui vaut à près de 300 de ses combattants d’être aujourd’hui en prison ? Rien. Légitime sous le régime franquiste, qui voulait briser les identités régionales, interdisait leurs langues et persécutait leurs militants, le séparatisme basque s’est abîmé dans le terrorisme, mettant en danger la jeune démocratie espagnole et ensanglantant son propre territoire.

Lorsque le Pays basque s’est vu attribuer une très large autonomie, y compris fiscale, le romantisme de la résistance antifranquiste d’ETA a connu une dérive trop familière, celle des mouvements paramilitaires qui, privés du soutien populaire, se réfugient dans la tyrannie. Discrédités politiquement, affaiblis par l’interdiction, sur décision de justice, du parti indépendantiste Batasuna en 2003, les commandos d’ETA ne pouvaient plus faire face à l’appareil sécuritaire de plus en plus efficace de l’Etat espagnol, appuyé par la France.

Un épisode aussi douloureux de l’Histoire ne se raye pas, cependant, d’un trait de communiqué ni d’une conférence de presse bien orchestrée. Une mesure pourrait compléter cet épilogue de manière opportune : celle du transfèrement des détenus d’ETA, disséminés dans les prisons du pays, dans des établissements pénitentiaires du Pays basque, qui permettrait de les rapprocher de leurs familles.

Le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, est-il capable de cette magnanimité ? Il peut, objectivement, se le permettre. Le Pays basque a retrouvé la paix et le sentiment indépendantiste y est à un niveau historiquement bas : 14 %. Les nationalistes modérés du PNV, le Parti nationaliste basque, n’envisagent pas de rupture avec l’Etat espagnol. Comparé à la Catalogne, « Euzkadi » est maintenant une oasis de sérénité.

Parallèle cruel avec la Catalogne

Le parallèle ente les deux enfants terribles de l’Espagne, le Pays basque et la Catalogne, qui sont aussi les plus riches, est cruel. Le régime basque d’autonomie a, certes, bénéficié de compétences que n’a pas la Catalogne, en premier lieu une autonomie fiscale qui remonte au XIXe siècle. Barcelone a fini par la revendiquer en pleine crise économique, en 2012 : on peut imaginer que si la Catalogne avait eu les mêmes compétences fiscales lorsqu’elle a accédé à l’autonomie à la fin des années 1970, l’escalade séparatiste aurait été évitée. Ce qui est viable pour le Pays basque, qui représente 6 % du produit intérieur brut espagnol, ne l’est cependant pas forcément pour la Catalogne, qui en constitue 19 %.

Mais une autre différence réside dans la stratégie du PNV. Pragmatique, il a su négocier avec M. Rajoy. Il a notamment obtenu en échange, dans le budget 2017, des investissements pour la région et un meilleur financement, et il négocie celui de 2018 dans la même optique. Pragmatisme et négociation : c’est exactement ce qui fait défaut aux dirigeants catalans.