« Pessimiste, dégoûtée » : les Iraniens défaitistes après la décision de Trump
« Pessimiste, dégoûtée » : les Iraniens défaitistes après la décision de Trump
Par Ghazal Golshiri (Téhéran, correspondance)
Les médias conservateurs critiquent la « naïveté » du président modéré Hassan Rohani lorsqu’il a signé, en juillet 2015, l’accord sur le nucléaire iranien.
Un drapeau américain brûlé dans l’enceinte du Parlement iranien
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Comme beaucoup d’Iraniens, la nuit du mardi 8 mai, Golnaz l’a passée devant sa télévision. Elle s’est rongé les ongles en regardant le président américain, Donald Trump, annonçant – « avec beaucoup de sang-froid », remarque Golnaz (tous les prénoms ont été modifiés) – son retrait de l’accord sur le nucléaire iranien.
« J’espérais qu’il change de position à la dernière minute, comme il le fait souvent », regrette cette responsable de relations publiques dans une société de télécommunications. Ensuite, cette Iranienne de 30 ans a attentivement écouté le discours – « très positif » – de Federica Mogherini, la chef de la diplomatie européenne, qui a promis que l’UE resterait dans l’accord et le préserverait.
Finalement, Golnaz a regardé l’allocution diffusée en direct à la télévision iranienne du président modéré,
Accord nucléaire iranien : Donald Trump annonce le retrait des Etats-Unis
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Mais avec l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, en janvier 2017, ces dernières n’ont plus daigné répondre à ses messages, certainement par peur d’être épinglées plus tard par Washington. De fait, la société s’est tournée vers d’autres pays, notamment africains. « Le plus grand problème a été et est toujours les transactions bancaires entre l’Iran et l’étranger, notamment l’Europe. Avec la sortie américaine, la situation va s’aggraver », explique Dana, l’un des patrons de Golnaz.
Ces derniers mois, Dana suivait, en tant que consultant, la conclusion d’un contrat d’achat de logiciels de trois millions d’euros entre l’Iran et une compagnie européenne. « Mais ils ont fini par jeter l’éponge, tant la situation, concernant les garanties et les transactions bancaires, était compliquée », se désole Dana.
Sur les réseaux sociaux, les Iraniens sont également nombreux à craindre le retour des jours difficiles à cause des sanctions, notamment la pénurie de médicaments, dont la population avait gravement souffert entre 2011 et 2013.
Le président Rohani « affaibli »
Pour Dana et Golnaz, il ne fait aucun doute que M. Rohani sort « très affaibli » de la décision du président américain. Quelques heures à peine après l’annonce de Donald Trump, les quotidiens conservateurs ont rappelé au président sa « naïveté » pour avoir fait confiance aux Etats-Unis et à l’Occident, de manière plus générale. Dans son édition du 9 mai, le titre ultraconservateur Vatan-é Emrooz lui a reproché de « ne s’être même pas excusé auprès de ses critiques qu’il n’arrêtait pas d’insulter ».
« Aujourd’hui, cela a été démontré que les adversaires [du président Rohani] avaient raison de s’en prendre à la diplomatie erronée du gouvernement », se félicite Vatan-é Emrooz. Un autre quotidien ultraconservateur, Kayhan, va encore plus loin et demande à l’Etat iranien de sortir au plus vite de l’accord et de reprendre ses activités nucléaires, suspendues ou arrêtées conformément à l’accord.
Ces dernières semaines, l’aile dure des autorités iraniennes a multiplié les manœuvres destinées à restreindre les libertés, dans le but d’attiser le mécontentement des Iraniens envers Hassan Rohani. Depuis le 1er mai, la messagerie sécurisée Telegram, utilisée par une grande majorité de la population, et devenue un outil incontournable pour générer des revenus pour plus d’un million d’Iraniens, est à nouveau bloquée, après une première censure au moment de la vague de manifestations du début de l’année.
Telegram avait alors été remis en état de fonctionnement à la faveur de pressions exercées par le président Rohani sur l’appareil sécuritaire et sur les conservateurs. Le nouveau filtrage de Telegram, décidé par la justice iranienne, est un signal fort lancé aux modérés en Iran pour leur rappeler que le président n’a qu’un pouvoir limité.
Nationalisme omniprésent sur les réseaux sociaux
« A l’intérieur du pays, nous assistons à l’arrestation des filles mal voilées, une opération de la police qui se poursuit, et au blocage de Telegram. A l’extérieur aussi, la décision de Trump affaiblit le président pour qui nous avons voté, explique Soroush, un ami de Dana, qui travaille sur la publicité sur les chaînes Telegram. Tout cela me laisse un sentiment d’étranglement. »
Golnaz partage elle aussi les critiques contre l’aile dure : certains de ses amis, militants écologistes, sont en prison depuis le mois de février, accusés « à tort », explique-t-elle, d’espionnage par les gardiens de la révolution. L’un d’eux, l’enseignant universitaire Kavous Seyed Emami, a perdu la vie en détention alors que les autorités parlent de suicide.
« Malgré tout cela, je reste une patriote, dit Golanz. Je ferai tout pour protéger mon pays dans le cas où une guerre éclaterait contre l’Iran. » Un nationalisme devenu omniprésent sur les réseaux sociaux et dans la presse conservatrice, qui appelle le peuple à s’unir contre les menaces étrangères. « L’Iran restera uni et résistant », a ainsi titré le quotidien Javan, proche des gardiens de la révolution.
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les points clés de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, conclu le 14 juillet 2015
ce qu’il faut savoir de l’accord, en sept questions ;
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