En Colombie, la droite brandit la menace du « castro-chavisme »
En Colombie, la droite brandit la menace du « castro-chavisme »
Par Marie Delcas (Bogota, correspondante)
Le candidat de gauche Gustavo Petro pourrait accéder au second tour de la présidentielle.
Gustavo Petro à Bogota, le 17 mai. / HENRY ROMERO / REUTERS
La Colombie va-t-elle virer à gauche ? L’hypothèse a de quoi faire sourire : tous les sondages donnent gagnant le candidat de la droite dure, Ivan Duque, au second tour de la présidentielle, le 17 juin. Mais les « pétristes » croient à la victoire. Leur candidat, Gustavo Petro, est crédité de 24 à 31 % des intentions de vote pour le premier tour, ce dimanche 27 mai. Sauf surprise, le candidat indépendant de gauche devrait donc se retrouver en ballottage : du jamais-vu dans un pays où « les élections se jouent depuis toujours entre la droite et l’extrême droite », selon la formule du sociologue Hernando Gomez Buendia. Lors des législatives de mars, les candidats de Gustavo Petro avaient obtenu deux sièges de député sur 172 et sept sièges au Sénat sur 108. On est loin d’une majorité parlementaire.
M. Petro évite de se dire socialiste ou même de gauche. L’existence d’une guérilla marxiste et la faillite économique de la révolution bolivarienne dans le Venezuela voisin ont discrédité le terme. Mais il se pose en candidat de l’anti-establishment et s’est présenté sans parti, ce qui n’est pas de nature à rassurer ceux qui – à droite et à gauche – voient en lui un égotiste populiste.
Talent oratoire
Au pouvoir depuis 2010, le président Juan Manuel Santos a négocié la paix avec la guérilla des FARC, devenue un parti politique. L’accord signé fin 2016 lui a valu la haine de la droite dure, qui lui reproche d’avoir « cédé aux terroristes ». Ivan Duque, lui, prône une révision des accords et prétend envoyer les chefs guérilleros démobilisés en prison.
Plus encore que l’application de l’accord de paix, le programme réformateur de Gustavo Petro et son talent oratoire font peur à la droite qui, depuis des mois, brandit la menace du « castro-chavisme ». « Vous comprenez, vous, qu’un candidat de gauche ait ses chances quand on voit le désastre du Venezuela ? », interroge Javier Angel, médecin. « Le Venezuela bouffe de la merde et la Colombie veut y goûter », résume plus vulgairement un partisan d’Ivan Duque, à la lecture des sondages. Sur les réseaux sociaux, fausses informations et menaces vont bon train.
Les électeurs du centre et de la gauche modérée sont sensibles à l’argument du castro-chavisme. Leurs votes se portent sur la candidature de Sergio Fajardo. Mathématicien de formation et longtemps professeur à l’université, M. Fajardo a été maire de Medellin et gouverneur du département d’Antioquia. Il a mis l’éducation au centre de son action et de son programme. Longtemps en tête des sondages, Sergio Fajardo a reçu l’appui des Verts et du parti de gauche Polo Democratico. Mais il a refusé l’alliance – et la primaire – que lui proposait Gustavo Petro il y a huit mois. Les sondages lui prédisent aujourd’hui autour de 16 % des voix.
Gustavo Petro a été guérillero dans sa jeunesse, parlementaire et maire de Bogota. A 58 ans, il remplit les places publiques et les salles du pays comme aucun autre candidat. « Ça se vit, ça se sent, Petro est président », scandent les sympathisants venus l’écouter mardi soir à l’hôtel Tequendama, à Bogota. L’événement a été organisé par les dissidents pétristes du Parti libéral. « Gustavo Petro rassemble au-delà des partis, explique, enthousiaste, le coordinateur de la campagne, Jorge Rojas. Il est le candidat d’une nation en mouvement. »
« Il a déplacé le débat »
Sur scène, le candidat parle réchauffement climatique, justice sociale, éducation gratuite, lutte contre la corruption, droits des minorités sexuelles. « Gustavo Petro a compris que le pays avait changé. Il a déplacé le débat, longtemps dominé par la question du conflit armé, pour aborder des sujets qui parlent aux électeurs, et notamment aux jeunes », explique le chercheur Mauricio Romero.
« La Colombie est le seul pays d’Amérique latine qui n’a jamais eu un président de gauche, soupire Maria José Pizarro, sénatrice élue en mars. On devrait nous laisser une chance, ne serait-ce que pour voir si nous en sommes capables. »