Giuseppe Conte (à droite) face à Luigi Di Maio, du Mouvement cinq étoiles (au centre) et le dirigeant de la Ligue Matteo Salvini (à gauche), le 25 mai à Rome. / AFP PHOTO / M5S/ FACEBOOK

Quatre-vingt-cinq jours de crise, et retour au point de départ. C’est la période d’instabilité institutionnelle que vient de vivre l’Italie, entre les élections législatives du 4 mars et le renoncement, dimanche 28 mai, de Giuseppe Conte à constituer un gouvernement face au veto du président de la république, Sergio Mattarella.

Rejetant la nomination d’un eurosceptique convaincu, Paolo Savona, au poste de ministre des finances, Sergio Mattarella a du même coup fragilisé la coalition entre le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue, construite lors de longues négociations entre deux partis considérés, il y a quelques semaines encore, comme inconciliables.

  • 4 mars : la débâcle des partis modérés

Si l’absence d’une majorité parlementaire claire à la sortie des urnes n’est pas une première en Italie, les élections du 4 mars marquent un tournant politique : les partis traditionnels s’effondrent – 18,7 % pour le Parti démocrate de Matteo Renzi à gauche, 14 % pour le Forza Italia de Silvio Berlusconi à droite – face aux formations qui se revendiquent antisystème.

Le Mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio, à l’idéologie inclassable sur l’échiquier politique, décroche 32,4 % des suffrages à la Chambre des députés, 31,9 % au Sénat. La Ligue, ancrée à l’extrême droite et dirigée par Matteo Salvini, bénéficie de 17 % des voix et prend la tête d’une coalition où se côtoient Forza Italia et les néofascistes de Fratelli d’Italia, cumulant 38 % des bulletins de vote.

Résultats élections Italie / Le Monde

Dans un premier temps, les deux formations revendiquent le droit de former un gouvernement, et excluent toute alliance l’une avec l’autre. Le président de la République Sergio Mattarella, constitutionnellement désigné pour choisir le premier ministre, dispose d’un délai avant sa décision : il doit attendre l’ouverture de la législature, le 23 mars, et la nomination des présidents du Sénat et de la Chambre des députés.

  • 24 mars : un accord pour élire les présidents des chambres

Magistrate de formation, proche de Silvio Berlusconi, première femme à occuper ce poste : Maria Elisabetta Alberti Casellati est nommée par les parlementaires présidente du Sénat, après de nombreux allers-retours entre le M5S et la Ligue. A la Chambre des députés, un partisan de la première heure de Beppe Grillo et du Mouvement 5 étoiles, Roberto Fico, obtient la présidence, par 422 voix sur 630.

L’équilibre entre les deux formations est obtenu, mais rien n’est encore fait : si les tractations en vue de la formation d’un gouvernement peuvent commencer, Luigi Di Maio précise que, pour le M5S, l’arrangement des présidences ne vaut pas accord de gouvernement.

Avec Matteo Salvini, ils sont d’accord sur une chose : parmi la droite parlementaire, la Ligue est le seul interlocuteur du M5S. Silvio Berlusconi et Forza Italia, dont est pourtant issue Maria Elisabetta Alberti Casellati, ne prennent pas part aux échanges.

  • 4 avril : Sergio Mattarella en arbitre des négociations

Un mois après les élections législatives, le président Sergio Mattarella joue l’animateur d’un premier tour de consultations auprès des partis pour obtenir la désignation d’un premier ministre, puis constituer un gouvernement.

Seuls, ni le Mouvement 5 étoiles ni la Ligue ne peuvent rassembler assez de parlementaires pour gouverner. Si leurs programmes semblent rendre une alliance improbable, l’impasse institutionnelle du pays pousse leurs dirigeants à débuter une série d’ouvertures : Luigi Di Maio n’exclut plus la possibilité d’une coopération, à la condition sine qua non de l’absence de Silvio Berlusconi. Ce que Matteo Salvini, qui reste le leader incontesté à droite, refuse officiellement : Forza Italia permet à la Ligue de rester dominatrice dans son camp, notamment dans certaines régions du nord du pays.

Reste la question, délicate, du candidat au poste de président du conseil. Dans un message posté le 29 mars sur Facebook, Luigi Di Maio se désigne en arguant que « le candidat des 5 Etoiles au poste de premier ministre est celui qui a obtenu le plus de voix ». Avant de prévenir : « Jamais plus un chef de gouvernement non élu. » Le discours est le même du côté de la Ligue, où Matteo Salvini se pose en premier ministre naturel en tant que chef de file de la coalition qui a obtenu le plus de voix aux législatives, avec 38 %.

  • 21 mai : la Ligue et M5S trouvent un accord, avant de proposer Giuseppe Conte comme président du conseil

En avril, l’alliance entre Forza Italia et la Ligue continue de bloquer les négociations avec le M5S. Sergio Mattarella suggère alors au Mouvement 5 étoiles de se tourner vers une coalition de gauche avec le Parti démocratique (PD). Ce que rejette Matteo Renzi, dans une intervention à la télévision le 29 avril : pour l’ancien premier ministre, le PD reste un parti d’opposition.

Début mai, le président de la République menace de constituer un gouvernement « neutre » et d’organiser de nouvelles élections, début 2019. Dès lors, les tractations s’accélèrent, notamment marquées par l’accord de Silvio Berlusconi pour une coalition entre M5S et la Ligue, mais sans Forza Italia.

Le principal point de blocage est dépassé, et le 21 mai, l’alliance entre les deux partis se concrétise par un « contrat pour un gouvernement de changement » et la proposition de Giuseppe Conte comme premier ministre. Le juriste, inconnu des électeurs italiens, est nommé président du conseil le 23 mai, et débute les tractations avec Sergio Mattarella sur la composition du gouvernement.

  • 27 mai : Giuseppe Conte renonce à former un gouvernement

Le nom de Paolo Savona, pressenti au ministère des finances, bloque le processus. Vieux briscard de la politique italienne, l’économiste de 82 ans est connu pour ses positions antieuropéennes et peu conciliantes avec l’Allemagne d’Angela Merkel. Sergio Mattarella pose son veto.

« Dans mon rôle de garant, je ne pouvais pas accepter un choix qui aurait pu conduire à la sortie de l’Italie de l’euro, et provoquer les inquiétudes des investisseurs italiens et étrangers », s’est-il justifié le dimanche 27 mai. Avant de nommer, le lendemain, le technicien Carlo Cottarrelli à la présidence du conseil.

L’économiste, qui a fait longtemps carrière au Fonds monétaire international, sera chargé de composer un gouvernement de transition, avant l’organisation de nouvelles élections. Pour l’Italie, c’est un retour en arrière au 4 mars, avant le résultat des élections législatives. Le « gouvernement de technicien » que les deux partis antisystème voulaient à tout prix éviter semble prêt à s’établir dans la vie politique italienne.