Robin Hobb : « Avec la fantasy, nos cultures et nos préjugés sont balayés »
Robin Hobb : « Avec la fantasy, nos cultures et nos préjugés sont balayés »
Propos recueillis par Elisa Thévenet
Cette auteure emblématique, à l’origine de la saga « L’Assassin royal », explique comment la fantasy a fini par gagner ses lettres de noblesse.
Robin Hobb est l’une des auteures de fantasy les plus emblématiques. / Elisa Thévenet / LE MONDE
Robin Hobb était l’invitée d’honneur de la 17e édition des Imaginales, qui se tenait du jeudi 24 au dimanche 27 mai à Epinal. Les œuvres de cette auteure incontournable de la fantasy, comme L’Assassin royal, Les Aventuriers de la mer ou encore Le Fou et l’Assassin ont été traduites dans 22 langues et ont séduit des dizaines de millions de lecteurs dans le monde. Pour la première fois depuis plus de vingt ans, l’auteure américaine, qui a vendu plus de 4 millions de livres en France, n’a ni contrat ni échéance. L’occasion pour elle de réfléchir à d’autres projets. Et, pour Pixels, d’établir avec elle un état des lieux de la fantasy.
Vous venez de mettre un point final à votre saga L’Assassin royal, qui a séduit des millions de lecteurs dans le monde. En tant qu’auteure de fantasy, comment expliquez-vous le succès de ce genre ?
Robin Hobb : C’est le genre universel par excellence. Les récits mythologiques grecs, romains, chinois, les fables d’Esope : ce sont des histoires que l’on se raconte aux quatre coins du monde. On se laisse plus facilement entraîner par un roman de fantasy parce qu’on découvre un nouveau monde dans lequel nos cultures et nos préjugés sont balayés. Chaque lecteur peut s’identifier aux personnages et faire de cette histoire la sienne.
Malgré les succès récurrents des œuvres de fantasy en librairie, le genre continue à avoir mauvaise presse…
Robin Hobb : Aux Etats-Unis, on a l’habitude de dire que nous [les auteurs de fantasy] « vivons dans le ghetto ». Pendant des années, le New York Times a refusé de faire la critique d’un roman de fantasy. Pour avoir du succès, certains auteurs rejetaient même l’étiquette.
Que répondez-vous aux critiques qui considèrent la fantasy comme de la littérature jeunesse ?
Que Game of Thrones est sans aucun doute un livre pour enfants ! [Rires.]
Justement, la fantasy se démocratise depuis quelques années, notamment grâce aux nombreuses adaptations sur petits et grands écrans…
C’est vrai, désormais vous pouvez lire un bouquin de fantasy dans le bus ! Je pense que les gens commencent à réaliser qu’ils peuvent trouver dans les livres les mêmes histoires que celles qu’ils aiment regarder à la télé.
Il y a eu récemment plusieurs débats sur la relative absence de diversité dans les séries et films de fantasy. C’est une question qui traverse plus largement la littérature de l’imaginaire. Est-ce que vous y prêtez attention lorsque vous écrivez ?
J’ai toujours été capable de me mettre dans la peau des personnages dont je lisais l’histoire. Je ne me suis jamais dit que Mowgli était un garçon à la peau foncée. Malgré la description que je fais de FitzChevalerie [le personnage principal de L’Assassin royal], mat avec des cheveux noirs et bouclés, les fans le représentent à leur image. Et ça ne m’embête pas du tout. Nos histoires appartiennent aux lecteurs. Si vous vous sentez obligé d’insérer de la diversité dans le récit, ça se voit. C’est comme compléter un puzzle avec une pièce qui ne lui appartient pas. Vous ne pouvez pas vous dire : « FitzChevalerie chapitre 4 : je n’ai toujours pas de personnage lesbien, il faut que j’en mette un. » Ce sont les personnages qui choisissent qui ils sont. Ça doit avoir l’air un peu mystique, mais ce sont eux qui me racontent leur histoire et c’est à partir de cela que j’écris un livre.
La fantasy permettrait donc au lecteur de gommer son bagage culturel ?
Si j’écris l’histoire d’un esclave noir aux Etats-Unis, il y a tout un contexte qui s’impose. Tout le monde ne pourra pas s’identifier à ce vécu. Mais si je vous raconte la vie d’une femme à Anabastar réduite à l’esclavage parce qu’elle a les cheveux vert pâle, n’importe qui peut s’approprier ce récit. Il n’y a plus de barrières.
On reproche souvent à la fantasy sa surabondance de clichés : le jeune garçon d’origine modeste promis à un grand destin, la présence de magie, les dragons… Ce sont des éléments que l’on retrouve dans vos livres.
Ces clichés sont l’une de mes inspirations pour L’Assassin royal. Ce sont des archétypes universels. Prendre ces poncifs et les retravailler pour leur donner une nouvelle jeunesse, c’était un défi. De Shakespeare aux grands mythes, ils sont incontournables, autant en être conscient et les utiliser à fond.
On voit de plus en plus d’héroïnes dans les romans de fantasy. En a-t-on fini avec les personnages féminins sans substance ?
Toutes les femmes des livres qui m’ont précédée ne sont pas des potiches. Bien sûr, on peut en trouver, on trouve de tout. Aux origines de la fantasy, dans les contes, il y a beaucoup de personnages féminins forts : Cendrillon est coriace, dans Le Bal des douze princesses, les jeunes filles s’échappent toutes les nuits malgré les gardes et l’interdiction de leur père… Essayez de trouver un conte qui a pour nom celui d’un prince, en dehors de Sinbad, ce n’est pas facile. Les contes sont principalement des récits de femmes, cela montre qu’elles ont toujours raconté des histoires.
Est-ce que le fait d’être une femme a changé quelque chose dans votre manière d’écrire et de travailler ?
Je déteste cette question ! On me la pose à chaque fois comme si j’appartenais à une minorité opprimée. Tout au long de ma carrière, les hommes du monde de la fantasy et de la science-fiction m’ont soutenue. Depuis le début, la plupart de mes éditeurs sont des éditrices, et j’écris depuis 1982. Je ne veux pas nier les histoires d’écrivaines qui ont eu à surmonter les préjugés, mais c’est n’est pas ce que j’ai vécu.
Vous écrivez depuis vingt ans sous un pseudonyme androgyne, Robin Hobb, et sous le nom de plume de Megan Lindholm, pourquoi avoir choisi deux alias ?
C’est très courant pour les auteurs de genre. Megan Lindholm et Robin Hobb n’écrivent pas le même style de fantasy. J’ai choisi Robin Hobb juste avant la publication de L’Assassin royal. Je voulais un nom court qui apparaisse en gros sur la couverture. Je suis allée dans des librairies voir quelle étagère était à portée de vue. C’était celle des « H ». Celle de Barbara Hambly, Robert Heinlein et Franck Herbert. Un super coin ! Comme mon narrateur était un personnage masculin, j’ai choisi un prénom sans connotation féminine ou masculine pour que le lecteur rentre plus facilement dans l’histoire et que le genre de l’auteur ne constitue pas un problème.
Est-ce que vous écrirez un jour sous votre nom, Margaret Ogden ?
Non. De nombreux lecteurs pensent qu’on m’a forcée à changer de nom. Au contraire, on m’a permis de jouer. Quand vous contez une histoire que vous a racontée votre grand-mère irlandaise, vous allez prendre sa voix, son vocabulaire, son accent. C’est exactement la même chose pour moi. Je suis comme une productrice de film, sauf que je joue tous les personnages, je dessine tous les décors et les costumes, et j’ai un budget illimité ! J’ai toujours vécu en dehors de moi-même, au travers des personnages dont je lisais les aventures, donc me créer un troisième pseudonyme serait très amusant.