Roman Souchtchenko, lundi 4 juin à Moscou. / VASILY MAXIMOV / AFP

La justice russe a condamné à douze ans de prison « à régime sévère », lundi 4 juin, le journaliste ukrainien Roman Souchtchenko, ancien correspondant à Paris de l’agence de presse UkrInform. Le journaliste a été reconnu coupable d’espionnage au terme d’une procédure instruite par les services de sécurité russes (FSB) sous le sceau du secret. « Je ferai bien entendu appel. Cette décision n’est pas juste », a déclaré après l’annonce de sa peine M. Souchtchenko, qui nie toute culpabilité.

« Tout a été réglé en quelques minutes, puisque les motivations du jugement sont elles aussi tenues secrètes, indique au Monde son avocat, Mark Feïguine. Le juge a simplement répété les trois phrases que répètent les services depuis deux ans. » M. Feïguine assistait au jugement en tant qu’observateur extérieur : l’avocat, qui a dans le passé défendu les Pussy Riot ou la pilote ukrainienne Nadejda Savtchenko, a été radié du barreau de Moscou le 24 avril, officiellement pour la publication de trois Tweet « à caractère obscène ». Une décision que l’avocat estime directement liée à l’affaire Souchtchenko : « Le pouvoir russe voudrait que toute cette affaire soit réglée le plus discrètement possible. Le verdict rendu aujourd’hui est d’ailleurs prudent, puisque la peine pouvait aller jusqu’à vingt ans. »

« Colonel » ukrainien

Roman Souchtchenko avait été interpellé le 30 septembre 2016 à son arrivée à l’aéroport de Moscou, en provenance de Paris. Son arrestation avait été découverte quasiment par hasard, lorsqu’une délégation de défenseurs des droits de l’homme avait remarqué, dans une cellule de Lefortovo, la prison utilisée par le FSB, un nouveau venu placé à l’isolement. L’homme avait alors expliqué être un journaliste ukrainien, membre de l’agence de presse publique UkrInform depuis 2002, et son correspondant à Paris depuis 2010. Il se rendait à Moscou pour rendre visite à son cousin malade.

Depuis lors, Roman Souchtchenko était donc détenu à Lefortovo, avec comme visites régulières, uniquement celles du consul ukrainien. Les autorités russes n’ont dévoilé que des éléments très parcellaires de l’instruction : le FSB décrit Roman Souchtchenko comme « un employé du service de renseignement du ministère de la défense ukrainien », allant jusqu’à lui décerner le grade de « colonel ». « Le citoyen ukrainien collectait délibérément des informations secrètes sur l’activité des forces armées et de la garde nationale de la Fédération de Russie », avaient seulement indiqué les services de sécurité russes après son arrestation.

Dépêches rarement signées

En l’absence de détails, ce sont les médias russes qui se sont mués depuis 2016 en procureurs, évoquant son passé dans l’armée ukrainienne – un engagement de cinq ans, au début des années 1990, terminé avec le grade de lieutenant – ou notant que l’on trouve sur Internet bien peu d’articles du journaliste. Rien de surprenant à cela : comme celles, par exemple, de l’Agence France-Presse, les dépêches d’UkrInform sont rarement signées. Nombre de ses collègues français et ukrainiens l’ont déjà croisé sur le terrain, en France, et sa femme, Angela, a constitué un dossier bien fourni recensant ses publications. « Il écrivait presque tous les jours, assurait-elle au Monde en novembre 2017, et pas seulement sur les attentats ou la politique. Il couvrait aussi les expositions ou le sport. »

Manifestation pour obtenir la libération de Roman Souchtchenko, devant l’ambassade de Russie à Kiev, en octobre 2016. / Gleb Garanich / REUTERS

La détention de Roman Souchtchenko a suscité une émotion importante en Ukraine, de même que celle des autres « otages » ukrainiens, comme les qualifie Kiev. Une trentaine d’Ukrainiens détenus en Russie – résidents de ce pays arrêtés lors de leur passage, ou habitants de Crimée refusant l’annexion – sont considérés par Kiev comme des prisonniers politiques. Parmi eux, le cinéaste originaire de Crimée Oleg Sentsov, condamné à vingt ans de prison pour « préparation d’actes terroristes » et qui est en grève de la faim depuis le 14 mai. Quelques libérations, obtenues à l’occasion de grâces présidentielles ou après des échanges de prisonniers, ont lieu épisodiquement.

Les soutiens de Roman Souchtchenko espèrent désormais, eux aussi, un échange de prisonniers. « Cette affaire ne peut se conclure que par un échange, estime aussi l’avocat Mark Feïguine. Il y a des dizaines de prisonniers russes en Ukraine, des combattants capturés dans le Donbass, mais Moscou n’est pas intéressé par le fait de les récupérer. » Peut-être faut-il, dès lors, voir dans l’arrestation à Kiev, mi-mai, du chef du bureau ukrainien de l’agence de presse russe RIA Novosti, un lien avec l’affaire Souchtchenko. Kirill Vyshinsky a, depuis, été placé en détention et accusé de « haute trahison ».

Les amis de M. Souchtchenko espèrent aussi une implication plus poussée dans ce dossier de la France, où résidait M. Souchtchenko, et qui participe, aux côtés de l’Allemagne, de la Russie et de l’Ukraine, aux négociations de paix sur le conflit ukrainien.