Loi asile-immigration : en durcissant le texte, le Sénat permet aux députés de jouer la carte de l’humanisme
Loi asile-immigration : en durcissant le texte, le Sénat permet aux députés de jouer la carte de l’humanisme
Par Manon Rescan
Les sénateurs devaient voter, mardi, une version durcie du projet de loi Collomb.
La majorité La République en marche (LRM) à l’Assemblée nationale aura le beau rôle dans les prochaines étapes de l’examen du projet de loi asile et immigration. Après avoir amendé puis voté en première lecture un texte contesté par une partie de ses membres, elle aura plusieurs occasions de donner des gages d’un humanisme dont il lui a été jusque-là reproché de manquer.
Premier élément, le lancement, mardi 26 juin au matin, du groupe de travail sur la rétention des mineurs. La majorité avait échoué à convaincre le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, d’inscrire dans la loi son interdiction. Elle avait toutefois obtenu de pouvoir travailler à des propositions en la matière. Dès mardi, les députés LRM montreront qu’ils ne comptent pas abdiquer sur le sujet. « Notre pays a un sérieux problème avec la rétention des mineurs », prévient dans une tribune au Monde l’élu LRM de Gironde Florent Boudié. Le responsable du texte asile-immigration pour la majorité animera lui-même ce groupe de travail. « Dès la fin de l’année, une proposition de loi sera portée au débat parlementaire » sur la rétention des étrangers vulnérables, promet le député, qui s’engage à ce que « le quinquennat d’Emmanuel Macron ne s’achève pas sans que sa majorité parlementaire [y] ait apporté une réponse durable ».
Cadeaux empoisonnés
L’autre occasion donnée à la majorité de montrer un visage différent leur est offerte sur un plateau par les sénateurs. Ces derniers devaient voter, mardi 26 juin, une version durcie du projet de loi Collomb. Exit, par exemple, la réunification des familles quand un mineur obtient l’asile en France ou encore la redéfinition du délit de solidarité, obtenue de haute lutte par les députés. Les sénateurs ont en outre transformé l’aide médicale d’Etat (AME) en « aide médicale d’urgence », provoquant un tollé dans la majorité. « L’amendement du Sénat (…) est contraire à une politique de santé publique responsable », a déclaré sur Twitter la ministre de la santé, Agnès Buzyn. « La majorité à l’Assemblée nationale corrigera cette aberration », a promis pour sa part Richard Ferrand, le président du groupe LRM. Dans ce contexte, la commission mixte paritaire (CMP) qui doit se tenir début juillet, probablement le 4, pour tenter de concilier les textes des deux assemblées est mal engagée. « La version du Sénat est très éloignée de la nôtre, dont l’équilibre avait été difficile à trouver », rappelle Elise Fajgeles, rapporteuse LRM du texte à l’Assemblée.
En cas d’échec de la CMP, les députés auront ainsi beau jeu de se poser en garants d’une position humaniste, à l’opposé de celle des sénateurs, lors de l’examen en seconde lecture prévu la dernière semaine de juillet. « Si la droite sénatoriale avait voulu rassembler la majorité à l’Assemblée nationale, elle ne s’y serait pas prise autrement », observe déjà Florent Boudié, qui dénonce un texte qui « prolonge le programme de LR version Wauquiez sur la question migratoire ». Reste que, même s’ils gomment les modifications du Sénat, les députés ne feront que rétablir une copie contestée par un faisceau très large d’acteurs, des associations au Défenseur des droits.
Les sénateurs ont d’ailleurs réservé quelques cadeaux empoisonnés aux députés, en faisant eux aussi du « en même temps ». Tout en durcissant le texte, ils y ont introduit des dispositions protectrices des droits des demandeurs d’asile comme le rétablissement du délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile à un mois, quand le gouvernement voulait le réduire à quinze jours. Les sénateurs vont ainsi mettre à nouveau la majorité face à ses divisions, cette position étant partagée par une partie d’entre eux. Les sénateurs ont également inscrit dans la loi un encadrement de la rétention des enfants à cinq jours maximum. Une solution qui ne satisfait pas pour l’heure dans la majorité. Si les députés la repoussent, ils laisseront toujours possible l’enfermement des enfants dans l’attente des conclusions de leur groupe de travail. Or ces dernières restent très ouvertes.
Dans sa tribune, M. Boudié promet que « toutes les réponses [à la rétention des mineurs] seront analysées, de l’encadrement strict à l’interdiction pure et simple », sans en privilégier une, mais sans assurer qu’elle sera interdite. Si la majorité endosse la posture politique de l’« humanité », ses débats pour la mettre en œuvre sont loin d’être achevés.