L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Le succès de Sicario, réalisé par le Canadien Denis Villeneuve, a engendré ce projet de suite qui reprend une partie des personnages du premier volet tout en proposant de radicaux changements formels. La réalisation en a été confiée à l’Italien Stefano Sollima, dont c’est le troisième long-métrage pour le cinéma et qui s’est fait un nom (ou plutôt un prénom, son père fut un grand metteur en scène du cinéma populaire transalpin) en signant les épisodes de séries télévisées comme Romanzo criminale ou Gomorra. Sicario, la guerre des cartels, retrouve l’univers du film de Villeneuve, désormais sans la présence d’une femme qui s’y serait égarée. Un univers hanté par des figures masculines, icônes d’une virilité conquérante et brutale, un monde de prédateurs évoluant au-delà des lois.

Nul doute que celui qui fut l’auteur d’ACAB, sorti en 2012, portrait d’une brigade de celeri (l’équivalent des CRS en Italie) en mâles moralement ambigus et pathétiques, aidé ici du scénariste Taylor Sheridan, déjà auteur du script de Sicario, devait retrouver, dans la peinture de ces agents spéciaux en guerre contre les trafiquants de drogue mexicains, une manière de ranimer des figures familières.

Le tueur et l’enfant

Josh Brolin incarne un policier de la brigade anti-drogue qui refait appel à Alejandro, un mystérieux mercenaire (Benicio Del Toro), venu lui-même de la criminalité et guidé par la vengeance depuis l’assassinat des membres de sa famille. Il s’agit d’abattre un dangereux cartel en déclenchant une guerre des gangs. Alejandro, qui ne s’embarrasse pas de la légalité, enlève la fille d’un puissant baron de la drogue avant d’être l’objet d’une traque orchestrée par une police mexicaine corrompue et par différents groupes criminels désireux de mettre la main sur l’enfant.

Ce récit semble donc promettre, un moment, la description d’un rapport particulier entre l’homme et une gamine farouche et rebelle, entre le tueur et l’enfant, le temps d’un bien attendu trajet initiatique. Le film ne tiendra pas cette promesse (ce qui se passe entre les deux personnages est peu exprimé), mais en proposera une autre. Et c’est sans doute dans la façon même dont il contourne ce qui aurait pu être une prescription particulière, celle de la psychologie, que Sicario, la guerre des cartels signale sa singularité.

Sans états d’âme

Tout, ici, repose sur le mouvement, un mouvement qui décrit une ligne droite, géométrique, quasi abstraite, faite d’embuscades sur les routes désertiques du Mexique, de fusillades, d’exécutions sommaires. La violence, souvent extrême, y est réduite à une péripétie banale et dédramatisée, fatale et ordinaire à la fois. Les personnages ont ici oublié tout affect pour accomplir aveuglément et sans états d’âme une tâche particulière. On peut noter que ce sont des hommes dont le sort repose entre les mains d’une femme, le personnage incarné par Catherine Keener, mère symbolique et abjecte chargée de la supervision des opérations et dotée d’un pouvoir de vie et de mort au nom d’une politique aveugle.

La mise en scène de Sollima est tout entière au service de cette brutalité taiseuse et infernale. Ce qui s’apparenterait à un portrait de l’homme d’action contient, dans l’épure du trait, dans le silence des sentiments, une manière de regard moral. La solitude et l’expertise létale d’Alejandro constituent sans doute la marque d’un homme qui a perdu son âme il y a longtemps. L’action n’est plus rédemptrice. Elle semble n’être, désormais, que l’expression d’une malédiction. L’émotion affleure d’autant plus que tout a été fait pour la maintenir à distance.

SICARIO LA GUERRE DES CARTELS - Bande-annonce - VF

« Sicario, la guerre des cartels ». Film américain de Stefano Sollima. Avec Josh Brolin, Benicio Del Toro, Isabela Moner (2 h 05). Sur le Web : www.metrofilms.com/films/sicario-day-of-the-soldado