Le Niger, sous-traitant africain de la politique migratoire de l’Europe
Le Niger, sous-traitant africain de la politique migratoire de l’Europe
Par Christophe Châtelot
En 2016, le pays a accepté de trier les migrants sur son sol au nom de la lutte contre le trafic d’êtres humains, divisant par cinq le flux de candidats au départ.
Des migrants reviennent au Niger après avoir fui la Libye à cause de groupes armés, et arrivent à Agadez, dans le nord du Niger, en mars 2017, suite à leur tentative ratée d’atteindre l’Europe en traversant la Méditerranée. / ISSOUF SANOGO/AFP
Si les vingt-huit chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne (UE) décident, lors du Conseil européen de jeudi 28 et vendredi 29 juin, de créer à l’extérieur de leurs frontières des « hot spots » destinés à trier les demandeurs d’asile, ils pourront au moins compter sur le soutien d’un pays africain, à plus de 6 000 km de Bruxelles, le Niger. Depuis plusieurs mois, ce pays de transit de migrants expérimente en effet déjà ce système que la plupart de ses voisins se refusent à mettre en place.
Lors du sommet Europe-Afrique consacré, à l’automne 2015 à La Valette, aux questions migratoires, le Niger avait déjà fait cavalier seul sur ce sujet, au risque d’apparaître dans la presse nigérienne comme le « gendarme africain des Européens ». Niamey s’était alors désolidarisé de ses partenaires de l’Union africaine (UA) en soutenant la proposition européenne de créer des centres d’enregistrement des demandeurs d’asile sur le continent. Ce que l’association française d’aide aux migrants, la Cimade, dénonce et qualifie de « politique d’externalisation de l’asile et du contrôle des frontières ».
« Chute spectaculaire »
Il y a encore peu de temps, le Niger était le principal pays de transit des migrants subsahariens en route vers l’Europe. La ville d’Agadez constituait alors la dernière étape, un point de concentration et d’équipement logistique, avant d’attaquer l’enfer du Sahara jusqu’aux côtes méditerranéennes de Libye ou d’Algérie, puis l’Europe pour les plus chanceux. « En 2015 et 2016, 100 000 migrants arrivaient chaque année à Agadez », rappelle Hassoumi Massaoudou, actuel ministre des finances qui détenait alors le portefeuille de l’intérieur. « En 2017, il n’y en avait plus que 20 000 », se félicite-t-il. Les chiffres de l’Office international des migrations (OIM) sur la même période sont presque trois fois plus élevés, mais ils affichent la même tendance : un trafic divisé par cinq.
Au ministère de l’intérieur, Hassoumi Massaoudou fut le grand artisan de l’application fin 2016 d’une loi datant de 2015, restée jusqu’alors lettre morte, punissant de manière drastique le trafic de migrants. L’Europe a applaudi, en premier lieu la France, qui a fait du Niger l’un de ses meilleurs alliés dans la région sur le front de la lutte contre le terrorisme et du contrôle des candidats au départ originaires pour beaucoup de pays voisins, membres comme lui de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). L’OIM a aussi salué cette « chute spectaculaire » obtenue grâce à des « mesures énergiques ».
La population nigérienne est moins enthousiaste. Une centaine de véhicules servant à convoyer les candidats au départ ont en effet été saisis par la police, des passeurs ont été arrêtés, jugés et condamnés. Toute une économie florissante et officielle – transporteurs, commerçants, logeurs, rabatteurs… – a été anéantie dans ce pays qui pointe parmi les plus pauvres du monde. Et plus particulièrement la région d’Agadez qui fut jadis un prospère carrefour de caravanes, puis une destination touristique avant d’être ruinée par les rébellions touarègues des années 1990 puis par l’activité de groupes djihadistes.
Une carcasse de voiture abandonnée dans le désert du Ténéré, au Niger, le 3 juin 2018. / Jerome Delay/AP
« La situation est extrêmement complexe », reconnaissait le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés (HCR), Filippo Grandi, lors d’une visite à Agadez, le 21 juin. « Je demande instamment qu’une aide au développement soit apportée à la communauté locale. Que cela nous plaise ou non, la cessation de la traite d’êtres humains a eu pour conséquence que des milliers de familles ont perdu leur moyen de subsistance. Si la communauté internationale ne soutient pas le Niger, ces familles pourraient se retourner contre les étrangers bloqués ici », a averti le chef du HCR.
Le cul-de-sac d’Agadez
L’UE, par l’entremise du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, ainsi que les partenaires bilatéraux ont certes promis des centaines de millions d’euros pour aider la population locale, offrir une alternative professionnelle aux anciens trafiquants, développer et sécuriser la région. Mais les effets tardent à se faire sentir.
Parallèlement, la situation a changé de nature et comporte des risques. D’une part, les réseaux de transporteurs choisissent dorénavant d’autres voies transsahariennes plus dangereuses que celles utilisées auparavant mais désormais surveillées par les autorités. D’autre part, Agadez est devenu un cul-de-sac pour les candidats à la migration qui ont vu les routes se fermer.
Enfin, les « hot spots » ont attiré une clientèle nouvelle. La ville a ainsi vu arriver plusieurs milliers de Soudanais, souvent réfugiés du Darfour, en quête du statut de réfugiés politiques que peuvent théoriquement leur accorder les fonctionnaires français de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra), envoyés ponctuellement au Niger pour trier les dossiers en collaboration avec l’OIM et le HCR.
La France s’est engagée à aller chercher 3 000 réfugiés au Tchad et au Niger. A ce jour, seulement quelques dizaines ont été accueillies en France. Mais cet afflux de demandeurs d’asile a provoqué des tensions avec la population locale. C’est pour cette même raison que le Tchad, voisin du Niger, s’oppose à l’idée de ces centres de tri et d’enregistrement. « Cela risque de créer un appel d’air, a expliqué récemment le ministre tchadien des affaires étrangères, Hissein Brahim Taha. Des milliers de candidats à l’immigration viendront chez nous. » « L’essentiel est que les gens aient le choix. Celui de rester chez eux ou celui de continuer leur route », ajoute Patrick Youssef, directeur régional adjoint pour l’Afrique au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). « Tout le monde a le droit de partir chercher une vie meilleure s’il en ressent le besoin », rappelle-t-il.