Avec 753 points, Luka Modric a été couronné lundi 03 décembre Ballon d’or 2018. / Christophe Ena / AP

Ils n’ont jamais parlé pour lui, ni dit grand-chose de son talent, de son influence ou de sa contribution à ses équipes successives. Ce lundi 3 décembre, les chiffres valident pourtant le triomphe de Luka Modric : avec 753 points, très loin devant Cristiano Ronaldo, il a été désigné Ballon d’or 2018. Qui aurait parié en début d’année sur le Croate pour interrompre l’ère Messi-Ronaldo ? L’Argentin et le Portugais ont imposé l’idée que « meilleur joueur » rimait avec buteur. Que les temps changent.

Modric défend une autre vision du football, celle qui correspond à son jeu et ses moyens forcément, mais aussi à une certaine philosophie. « Même si aujourd’hui, il semblerait qu’il n’y ait que les statistiques qui comptent, que seul le nombre de buts soit reconnu et que le reste n’ait pas d’intérêt, celui qui investit dans le bien commun, qui pense aux autres et à la réussite collective reste essentiel », théorise-t-il le 10 octobre dans un entretien à France-Football.

En 2018, Luka Modric n’a pas beaucoup plus fait trembler les filets qu’à son habitude, lui dont la saison plus prolifique au Real Madrid plafonne à quatre buts. Vainqueur de la Ligue des champions et finaliste de la Coupe du monde, il est rattrapé à 33 ans par les distinctions individuelles – il était déjà meilleur joueur UEFA de la saison 2017-2018. Ce secret d’initiés, celui d’un milieu relayeur qui rend les autres meilleurs et le jeu plus simple, devient enfin une évidence.

La Coupe du monde en Russie a servi de loupe. Pendant un mois, Modric a été le cœur et le cerveau de son équipe. Celui qui impose le rythme, fluidifie le jeu, donne, trie et récupère des ballons ou trouve les solutions aux problèmes. A Tottenham, où il évolue entre 2008 et 2012, son entraîneur, Harry Redknapp, ne donne qu’une consigne à ses coéquipiers : « Give it to Luka ». Donnez-lui le ballon, il saura toujours quoi en faire.

La revanche du milieu

Pour ceux qui jouent à ses côtés ou qui le dirigent, son talent est une évidence. Mais ce n’a pas toujours été le cas. Après tout, Modric a été désigné comme pire recrue de l’intersaison du Real Madrid en janvier 2013 par les internautes du site du quotidien sportif espagnol Marca. Les limites de la démocratie sondagière…

Adolescent, le joueur de 1 m 72 est aussi resté à la porte du Hajduk Split. Trop gringalet. Enfant de la guerre, Lukas Modric a fui son village à 11 ans pour Zadar où sa famille s’entasse de longues semaines dans une chambre d’hôtel. A 18 ans, il débute au Dinamo Zagreb. Son talent crève les yeux. La France – ou du moins celle qui s’intéresse au Stade Rennais – le découvre le 19 décembre 2007 lors d’un match de Coupe de l’UEFA. La pelouse du stade de la route de Lorient est gelée, les joueurs des pantins ridicules, mais Modric donne, lui, l’impression d’être le seul chaussé de pneus neige tant il survole son sujet.

Les grands d’Europe ne sont pas encore tout à fait convaincus. « Tout le monde s’arrêtait sur son gabarit, son manque de statistiques avec le Dinamo », resitue Damien Comolli. En charge du recrutement de Tottenham, le Français persuade ses dirigeants d’investir 18 millions d’euros sur lui. On dit Modric trop frêle, pas assez guerrier pour le championnat anglais ; il deviendra très vite le maître à jouer du club du nord de Londres. Pas un numéro 10, mais un « vrai 8 », dit Comolli.

Le « 8 » ou « relayeur » est ce milieu de terrain qui échappe à la classification de défensif ou offensif. Aux trophées individuels, aussi. Le palmarès du Ballon d’or présente peu de profils à la Modric. L’Allemand Lothar Matthäus (lauréat en 1990) et le Tchèque Pavel Nedved (en 2003) sont ses correspondants les plus proches avec quelques nuances : les deux étaient plus portés sur le but.

Les Espagnols Xavi ou Andrés Iniesta auraient pu toucher de l’or avant Luka Modric. Les deux avaient tout gagné avec le FC Barcelone ou la Roja (Euro 2008, 2012, Coupe du monde 2010). Mais malgré les titres, le plaisir de les voir ordonner et créer sur un terrain, leur heure n’est jamais venue. Leurs soutiens ont rejeté la faute sur l’époque, qui ne jure que par les attaquants et la vérité implacable des buts marqués, celle revendiquée par un Cristiano Ronaldo, dauphin de Modric pour cette édition 2018.

Faux témoignage et polémique

« Comme l’intelligence n’est pas visible par le spectateur moyen, Modric ne gagnera pas le Ballon d’or comme Andres Iniesta en son temps », s’avançait Jorge Valdano interrogé par So Foot en septembre. Champion du monde en 1986, l’Argentin a toujours défendu une idée romantique du football comme entraîneur, dirigeant ou chroniqueur. Une vision enfin récompensée avec le sacre de Modric.

L’histoire serait trop belle et l’opposition trop facile entre l’humble milieu de terrain au service du collectif, face à Messi et Ronaldo les attaquants superstars. En dehors du terrain, le Croate est un homme et un justiciable comme les autres. Messi et Ronaldo ont été pris à frauder le fisc espagnol (sans oublier les récentes accusations de viol à l’encontre du Portugais), Modric, lui, a été poursuivi dans son pays pour faux témoignage afin de couvrir son mentor Zdravko Mamic, condamné à six ans et demi de prison pour avoir notamment détourné de l’argent sur la vente de joueurs du Dinamo Zagreb.

« Rien de plus intelligent à demander ? », avait-il répondu à un journaliste anglais l’interrogeant sur cette affaire pendant la Coupe du monde. En Croatie, un grand nombre de passionnés de football, excédés par la mainmise de Mamic, ont été meurtris que Modric ait tenté de le couvrir. Mais un bel été russe est passé par là depuis et plus grand monde ne le titille à ce sujet. Le football oublie vite. La justice croate aussi. Dans la journée de lundi, le tribunal de Zagreb confirmait l’arrêt des poursuites à l’encontre de Modric, faute de preuve.