Lukaku, le diable au corps
Lukaku, le diable au corps
Par Corentin Lesueur
Meilleur buteur de l’histoire de la sélection belge, l’attaquant s’est mué en passeur pour envoyer les siens en demi-finales face à la France, mardi, à Saint-Pétersbourg.
Romelu Lukaku, le 2 juillet, après la victoire (3-2) de la Belgique face au Japon, en huitièmes de finale. / JEWEL SAMAD/AFP
Foi de Paul Pogba, son partenaire de club et futur adversaire : Romelu Lukaku a « fermé des bouches » depuis le début du Mondial. Dit autrement, le Belge a renvoyé à leurs études ceux qui ne voyaient en lui qu’un attaquant physique et puissant, un déménageur des surfaces guère habile ballon au pied.
Un portrait aussi sévère que paradoxal pour un joueur qui, à tout juste 25 ans, détient le record du nombre de buts inscrits chez les Diables rouges (40 en 73 sélections), joue pour l’un des clubs les plus prestigieux (Manchester United) et compte parmi les leaders d’une génération déjà considérée comme la plus talentueuse qu’ait connue le plat pays, qui dispute face à la France la deuxième demi-finale de Coupe du monde de son histoire, mardi 10 juillet, à Saint-Pétersbourg.
Une inclinaison à la critique typiquement belge selon Ariël Jacobs, son premier entraîneur chez les professionnels, qui admet tout de même « une première touche de balle pas parfaite » chez son ancien protégé : « Mais pourquoi l’opposer à Messi ? Il faut comparer les pommes avec les pommes et juger Romelu sur sa qualité première : la présence dans les seize mètres et la concrétisation. »
Les dernières prestations en Russie du natif d’Anvers montrent un joueur altruiste et dévoué au collectif, loin de l’artilleur les crampons cloués dans la surface adverse. En huitièmes de finale face au Japon, l’avant-centre laisse subtilement passer le ballon et offre à Nacer Chadli l’occasion de crucifier les Nippons dans les dernières secondes. En quarts contre le Brésil, il récupère la balle dans son camp et mène la charge qui aboutira au but décisif de Kevin De Bruyne. Deux matchs parmi les plus aboutis de la – jeune – carrière internationale de Lukaku, pourtant muet depuis les quatre buts inscrits en début de Mondial, contre des adversaires plus modestes (Panama et Tunisie).
« Une arme destructrice »
Responsable de la formation du club d’Anderlecht, en banlieue bruxelloise, Jean Kindermans confirme l’évolution de celui qui a fait le bonheur de son académie dès ses 13 ans : « Cette Coupe du monde dévoile un joueur qui a nettement progressé, dans tous les aspects de son jeu. Avant, c’était un buteur. Maintenant, il marque toujours autant mais participe bien plus à l’organisation du jeu. » Une prise de responsabilité loin de surprendre l’ancien professionnel, qui se rappelle la « faim » et la « soif de progression » d’un adolescent soucieux de « toujours sortir de sa zone de confort et se remettre en question pour atteindre de nouveaux objectifs ».
La faim et la soif. Deux besoins vitaux érigés en leitmotiv dans l’ascension du jeune Lukaku. Dans une confession publiée sur le site The Players’ Tribune, le Mancunien détaille les galères d’une enfance au milieu d’une famille sans le sou, entre privation d’électricité et partage de ribouis avec son père. Surtout, ce fils d’ex-footballeur évoque un déclic, à 6 ans : « J’ai surpris ma mère en train de rajouter de l’eau dans mon bol de lait. Le même que la veille. J’ai alors compris que nous étions fauchés. Pas seulement pauvres : fauchés. Ce jour-là, j’ai su exactement ce que j’avais à faire et ce que j’allais faire. »
La suite ne sera que précocité et buts plantés par sacs, partout où le gaucher a posé sa grande carcasse (1,90 m pour 94 kg). Chez les juniors, Lukaku affole les compteurs deux crans au-dessus de sa classe d’âge. Il signera son premier contrat et ses débuts en pro à Anderlecht, en 2009, ses seize bougies à peine soufflées. A 25 ans, Guillaume Gillet faisait presque figure d’ancien dans le club bruxellois. Pas de quoi intimider son nouveau partenaire, « formaté pour réussir de très grandes choses » : « A 16 ans, il était déjà capable de renverser n’importe quel défenseur et de faire preuve de sang froid devant le gardien. Pour nous, c’était une arme destructrice. »
« Je ne rigolais pas »
Le temps de conquérir un titre de champion de Belgique et le trophée de meilleur buteur, l’attaquant ne passera que deux saisons entières à Anderlecht, avant de sauter la Manche et de signer à Chelsea. Barré par la concurrence à Londres, il explosera à Everton (87 buts en quatre ans) et fera son retour dans la cour des grands à l’été 2017, à Manchester United, pour une centaine de millions d’euros (bonus compris).
Prolifique et discret, Lukaku a dû attendre le Mondial russe pour réduire au silence ses derniers contempteurs. La faute, en partie, à une volonté exacerbée de faire la différence sur la pelouse, quitte à s’encombrer de tâches dédiées à d’autres, et surjouer. Ariël Jacobs en témoigne : « Il est parfois victime de son perfectionnisme. Il veut continuellement trop bien faire, le plus vite possible. Il lui arrive de réclamer le ballon trop loin du but, mais c’est pas évident de lui dire que ce n’est pas son rôle. »
Un recadrage auquel s’est plié son sélectionneur, en pleine Coupe du monde. Fin connaisseur du personnage, qu’il a dirigé trois ans à Everton, Roberto Martinez a profité d’un passage devant la presse pour rappeler son attaquant à sa mission : « marquer des buts ». « Il n’est pas aussi bon quand vous lui demandez de faire trop choses, sa performance est alors plus brouillonne, développe-t-il. Il sait désormais quel est son rôle. J’espère que c’est le cas pour tous les autres joueurs, car c’est la seule manière de devenir une équipe. »
Conseillé par Thierry Henry en Russie, l’Anversois n’a pas attendu les cours particuliers du Français pour apprendre l’instinct du buteur. Enfant, il rêvait déjà d’anéantir l’adversaire : « J’essayais de déchirer le cuir du ballon chaque fois que je frappais dedans. Pas de tir en finesse. Je ne rigolais pas. J’essayais de te tuer. »