Des caméras de surveillance « intelligentes » à Fuzhou, en Chine. / AP

Le directeur juridique et président de Microsoft appelle à l’encadrement de la reconnaissance faciale par une loi fédérale. Dans un long article publié sur le site du géant du logiciel vendredi 13 juillet, Brad Smith prévient que les performances de cette technologie s’améliorent, qu’il devient facile de mémoriser les profils de très nombreux citoyens dans une base de données, puis d’y connecter des caméras pour identifier les passants en direct.

Selon Brad Smith, ces avancées ne sont pas dangereuses par nature : « Imaginez [qu’un système de reconnaissance faciale] retrouve une petite fille portée disparue en l’identifiant dans la rue. » Mais utilisées à mauvais escient, elles présentent un risque considérable pour le respect de la vie privée et de la liberté d’expression. « Imaginez qu’un gouvernement vous traque partout ou vous marchez […] sans votre permission et sans vous en informer. Imaginez [qu’il liste] toutes les personnes qui ont participé à un rassemblement politique […]. »

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Appel aux parlementaires

Brad Smith appelle le Parlement fédéral à voter une loi, puis à contrôler son efficacité en imaginant « de solides méthodes de surveillance du pouvoir exécutif ». Il dit également souhaiter la création d’une commission parlementaire regroupant des députés démocrates et républicains, épaulés par un groupe d’experts. Brad Smith leur propose d’étudier plusieurs questions, parmi lesquelles :

  • Faut-il obliger les commerçants à poser des panneaux pour avertir de l’usage de la reconnaissance faciale ?
  • Les particuliers doivent-ils pouvoir accéder aux photos qui les identifient ?
  • Comment éviter que cette technologie serve pour le profilage racial ?
  • Faut-il créer des procédures juridiques qui donnent des recours aux personnes qui ont été identifiées par erreur ? Le taux d’erreur des logiciels de reconnaissance faciale a beau chuter, il demeure très élevé.

Selon M. Smith, c’est à l’Etat de poser un cadre, et non aux entreprises, qui sont plongées dans un environnement très concurrentiel. Peu importe si cela restreint la liberté des grands éditeurs de logiciels. « Au XXe siècle, l’industrie automobile a lutté contre la réglementation pendant des décennies, mais aujourd’hui, elle apprécie à leur juste valeur les lois qui ont permis l’apparition des ceintures de sécurité et des airbags. »

Un contexte tendu

L’article du directeur juridique de Microsoft s’inscrit dans un contexte tendu. En mai, une puissante association américaine a accusé Amazon — l’un des principaux concurrents de Microsoft dans plusieurs domaines — de commercialiser sa technologie d’identification faciale Rekognition aux gouvernements, et de leur apporter son aide pour la mettre en œuvre. L’American Civil Liberties Union (ACLU) y voit « une grave menace pour les communautés, notamment les personnes noires et les immigrés ».

L’association fait état de contacts entre Amazon et deux Etats américains du sud, la Floride et l’Arizona. Selon l’ACLU, « Rekognition peut identifier, suivre et analyser les personnes en temps réel et reconnaître jusqu’à cent personnes dans une seule image ». En juin, des employés d’Amazon se sont mobilisés en demandant au PDG d’Amazon, Jeff Bezos, de cesser de vendre Rekognition à la police.

Le 19 juin, des employés de Microsoft ont publié dans les colonnes du New York Times une lettre destinée à leur PDG, Satya Nadella, lui reprochant la signature d’un contrat de 19,4 millions de dollars avec la police des frontières américaine (Immigration and Custom Enforcement, ou ICE). Un contrat qui inclurait, selon les auteurs anonymes de ce courrier, la fourniture d’un système d’identification faciale, un point que nie Brad Smith en marge de son article.

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Un problème mondial

Le président de Microsoft souligne que les dangers de la reconnaissance faciale ne s’arrêtent pas aux frontières américaines. Il en appelle à une réglementation internationale : « Etant donné la nature mondiale de cette technologie, il y aura probablement des besoins croissants d’interaction et même de coordination entre les législateurs à travers les frontières. »

Cet appel à la coordination trouvera probablement une oreille plus attentive dans l’Union européenne qu’en Chine, où la police recourt déjà couramment à la reconnaissance faciale. Dans certaines villes, les piétons qui traversent au rouge sont identifiés grâce à des caméras connectées à un système de reconnaissance faciale, sans que les citoyens s’en émeuvent beaucoup. Et tant que le contrevenant n’a pas payé l’amende due, son visage est affiché sur les écrans des arrêts de bus locaux.

La police chinoise utilise également la reconnaissance faciale pour retrouver la trace de fugitifs. Selon l’avocat Liang Xiaojun, cette technologie « risque d’être rapidement utilisée de manière détournée. L’appareil policier s’en sert par exemple pour mieux contrôler des personnes ciblées, et non parce qu’elles enfreignent la loi ».