Ce n’est vraiment pas le Tour de Christopher Froome : le Britannique est devancé pour une seconde et demie par Tom Dumoulin dans le contre-la-montre entre Saint-Pée-sur-Nivelle et Espelette, et terminera la Grande boucle sans victoire d’étape. Il remonte tout de même sur la troisième marche du podium, loin devant Primoz Roglic. Et loin derrière Geraint Thomas. Mais rien n’est fait puisque la très longue étape entre Espelette et Paris (790 kilomètres), demain, a toutes les chances de bouleverser le classement général ! Sinon, Romain Bardet gagne une place, sixième.

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  • Tom Dumoulin a perdu, mais il a gagné

MARCO BERTORELLO / AFP

Tom Dumoulin a perdu. Sa combinaison, pour commencer. « Je n’arrivais pas à trouver mon maillot de champion du monde [du contre-la-montre ndlr]. Ça a été une matinée assez stressante, pour moi et pour tout le monde, ça m’a franchement gavé (I was utterly pissed, en VO). » Coup de bol : son équipementier se trouve au Pays basque espagnol, de l’autre côté de la frontière. « Je dois vraiment les remercier. Ils ont rappelé une couturière à la retraite, et m’ont refait une combinaison ce matin. Ils étaient en vacances, ils n’avaient rien sur place, ils ont refait une combinaison et l’ont apportée ici, c’est une matinée de fou. »

Ensuite, Tom Dumoulin a perdu le contre-la-montre d’Espelette, les images sont formelles : « Ça passera pas », dit Jalabert, alors que Dumoulin a l’air en retard dans les derniers mètres de course, et arrive finalement deux secondes après Froome selon le chronométrage officiel. Chronométrage qui semble en fait avoir connu quelques ratés. Voyez plutôt.

Légère confusion à l’arrivée, où Tom Dumoulin a cru pendant quelques secondes qu’il avait perdu. « J’ai d’abord entendu que j’étais deuxième, pour une seconde, et en fait, c’est l’inverse. » Voyez plutôt.

Notons la sportivité de Froome qui félicite chaleureusement Dumoulin, alors que celui-ci, avant de le priver d’un rayon de soleil sur ce Tour pénible et de le devancer sur le podium à Paris, avait passé l’année à dire qu’à la place du Britannique, il se serait mis hors-jeu le temps que soit réglée l’affaire du salbutamol.

Lors de sa conférence d’après-course, le Néerlandais a expliqué que ses déboires techniques à Mûr-de-Bretagne (plus d’une minute de perdue) n’ont rien changé à ce Tour, car s’ils n’avaient pas eu lieu, Geraint Thomas aurait poussé plus fort sur les pédales en montagne et fini devant. Il a confirmé qu’il ne retenterait pas le doublé Giro-Tour l’an prochain, et se concentrerait sans doute sur le second, car le délai entre les deux, rallongé cette année pour cause de Coupe du monde de la Fifa Russie 2018 ©, ne serait l’an prochain que de trois semaines et demie.

Enfin, interrogé sur le nerf de la guerre, le budget inférieur de son équipe par rapport à l’armada Sky, Dumoulin a répondu avec sagesse : « Bien sûr c’est un désavantage, bien sûr que ça compte. [L’argent] rend parfois la vie plus facile. Mais la question est : est-ce qu’ils sont plus heureux ? » On vous laisse méditer là-dessus.

  • La Sky, c’est moins fort que l’US Postal

Kwiatkowski, très bon quatrième du contre-la-montre mais médiocre troisième du championnat interne de la Sky. / STEPHANE MAHE / REUTERS

Notre oeil expert avait bien cru déceler la légère domination d’une équipe sur ce Tour de France. La preuve que l’on s’y connait : six coureurs de l’équipe Sky terminent dans les 25 premiers de ce contre-la-montre très exigeant, avec dans l’ordre Chris Froome (2e), Geraint Thomas (3e), Michal Kwiatkowski (4e), Jonathan Castroviejo (14e), Wout Poels (17e) et Egan Bernal (25e).

L’US Postal avait fait mieux, en plaçant six coureurs dans les 16 premiers d’un contre-la-montre de veille d’arrivée du Tour, à Besançon en 2004. La grande époque.
Au classement final, la contre-performance de Primoz Roglic dans le contre-la-montre permet à l’équipe britannique de placer deux hommes sur le podium dont le vainqueur, ce qui n’est pas non plus du jamais-vu.

En 2009, Alberto Contador et Lance Armstrong s’étaient retrouvés dans la même position sur les Champs-Elysées. S’ils avaient semblé courir l’un contre l’autre, ils couraient bien sous le même maillot Astana. Surtout, en 2012, Bradley Wiggins avait devancé Christopher Froome, comme Bjarne Riis et Jan Ullrich en 1996 pour la Telekom.

La question fut posée à Geraint Thomas en conférence de presse : ne serait-ce pas un souci pour le Tour de France ? « Moi, ça me va, a souri Geraint Thomas. Ce n’est pas un problème, ça a été une superbe course. Bien sûr que nous sommes forts. Regardez les coureurs un par un, chacun est incroyable. Mais notre plus grande force ce ne sont pas nos jambes, c’est notre tête. »

Là, on se dit que c’est vraiment trop bête : la Cofidis pourrait aussi gagner le Tour et écraser un contre-la-montre, mais elle n’a pas la tête à ça. Elle préfère s’appliquer vraiment à gagner des manches de Coupe de France. Manque d’ambition typiquement français, aurait dit Dave Brailsford.

Alors que le manager gallois insiste sur le fait que ses coureurs ne sont pas mieux payés qu’ailleurs - Egan Bernal, plus grand espoir du monde, est selon lui en-dessous du salaire moyen du World Tour, ce qui nous laisse sceptique -, les organisateurs du Tour de France aimeraient que l’Union cycliste internationale avance « vite » sur le projet d’un plafonnement de la masse salariale des équipes. L’UCI est pour, certains coureurs (Romain Bardet par exemple) aussi, mais la mesure est très complexe à mettre en oeuvre, comme le soulignent les patrons d’équipes.

Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France, explique à En Danseuse qu’« on ne peut pas reprocher à Sky de vouloir gagner, mais aujourd’hui ils engagent tous les meilleurs jeunes ».

« S’ils prennent tous les meilleurs jeunes de 20 ans (ce qui est le cas, ndlr), on va avoir la même équipe qui va tout écraser pendant des années et des années. Le sel de la compétition fait qu’un rééquilibrage serait souhaitable, comme en NBA. Il faut réfléchir vite à cela, l’étudier de très près. Il faut un rééquilibrage dans l’intérêt de tout le monde. »

  • Thomas et Froome pratiquent l’art de l’esquive

Et si ces écouteurs sans fil avaient surtout été créés pour les coureurs cyclistes sur des rouleaux ? / JEFF PACHOUD / AFP

Le gymnase Michel Labèguerie de Cambo-les-Bains n’est visiblement pas l’endroit pour parler d’avenir. Ou peut-être le moment était-il mal choisi. Ou sans doute la question était-elle un peu gênante pour les deux. Toujours est-il que Geraint Thomas et Christopher Froome ont tous les deux esquivé la question de leur avenir au sein de l’équipe Sky, lors de leur conférence de presse d’après-Tour-mais-pas-tout-à-fait-car-tout-peut-arriver-sur-les-Champs.

« On verra », a simplement dit Geraint Thomas, contredisant ainsi Dave Brailsford qui affirme partout que son compatriote gallois restera chez lui la saison prochaine. Thomas a tâté le marché avant le Tour et semblait se diriger vers une prolongation chez Sky mais, sans doute conscient de ses possibilités sur ce Tour de France, n’a rien signé dans l’espoir que sa côte augmente pendant la course. La question de son rôle dans l’équipe sera forcément un aspect important des négociations, alors que Christopher Froome n’a pas renoncé à conquérir un cinquième Tour et qu’Egan Bernal semble déjà physiquement prêt à prendre le commandement de l’équipe.

Quant à Froome, pensez-vous qu’il se serait naturellement incliné et aurait officiellement transmis le flambeau à Geraint Thomas, d’un an son cadet ? Bien sûr que non. Sur le rôle de chacun la saison prochaine, il a répondu : « C’est une question à poser à la direction de l’équipe, ce n’est pas aux coureurs de prendre cette décision. »

L’automne sera intéressant, chez Sky. En 2013, Bradley Wiggins, au faîte de sa gloire, avait été gentiment mis de côté par Dave Brailsford, qui l’avait « convaincu » de se concentrer sur le Tour d’Italie, au profit de Christopher Froome. Wiggins avait pris quelques kilos pendant l’hiver et n’était jamais vraiment entré dans son Giro, avant d’abandonner sur chute à la treizième étape.

Les relations entre Thomas et Froome étant bien meilleures, la Sky pourrait aussi prendre le risque d’aligner les deux au départ du Tour de France et de laisser la route trancher, comme cette année.