KSI contre Logan Paul : combat des youtubeurs, mais « parodie de boxe »
KSI contre Logan Paul : combat des youtubeurs, mais « parodie de boxe »
Par Clément Martel, Marie Slavicek
Les deux youtubeurs Logan Paul et KSI, qui s’affrontent samedi sur un ring, se revendiquent comme des adeptes de « la boxe en col blanc ».
Pour régler leurs différends, KSI et Logan Paul ont choisi les gants. Les célèbres (surtout dans le monde anglo-saxon) youtubeurs — qui « pèsent » à eux deux plus de 37 millions d’abonnés — monteront sur un ring samedi 25 août la Manchester Arena (20 000 places), en Angleterre, et s’affronteront à coups de directs et de crochets. A défaut d’être « le plus gros combat de boxe amateur de l’histoire », comme l’affirme un KSI péremptoire, ce match s’annonce comme le plus monétisé. A en croire Stuart Jones, le PDG de l’agence événementielle Upload Events, qui organise le show, chacun des apprentis combattants devrait empocher environ un million de dollars. Une somme démesurée pour ce qui tient plus de la parodie que du combat.
Car les deux hommes n’ont rien de boxeurs aguerris. Et nul besoin d’être un expert du noble art pour s’en convaincre : regarder quelques secondes l’une des nombreuses vidéos d’entraînement qu’ils publient sur YouTube depuis plusieurs semaines, ou le premier « combat YouTube » de KSI, en février (face à Joe Weller), suffit. L’Anglais KSI — de son vrai nom Olajide Olatunji — et l’Américain Logan Paul se revendiquent pourtant comme des adeptes du « white collar boxing », littéralement de « la boxe en col blanc ».
Longtemps apparentée à un sport de voyou réservé aux jeunes de quartiers défavorisés et à des ex-taulards, la boxe se veut aujourd’hui plus élitiste. Depuis les années 1990, la tendance du « white collar boxing » a ainsi vu les tradeurs de Wall Street en quête de sensations fortes se coller des bourre-pifs entre quatre cordes. Le concept a rapidement séduit les jeunes loups de la City de Londres, puis les autres CSP + (avocats, chefs d’entreprise, artistes, journalistes…). Après s’être répandue dans tout le Royaume-Uni, où des clubs et des événements ont vu le jour, cette tendance commence à prendre en France.
Héritiers putatifs des « gentlemen boxers »
Exit l’image de Rocky Balboa s’entraînant en martyrisant une pièce de viande — même si les séances de Logan Paul contre un tronc d’arbre s’en inspirent à l’évidence —, place aux sacs de frappe fleurant bon le cuir neuf. Après une séance de « cardio training », les « white collar boxers » débriefent leurs combinaisons de coups… ou échangent leurs cartes de visite entre sparring partners. Symboliquement, la salle de boxe recrée l’intimité et l’entre-soi d’une salle de marché ou de n’importe quel autre environnement professionnel.
KSI contre Logan Paul : pourquoi ces deux stars de YouTube s’affrontent sur un ring
Et qu’ils soient débutants ou pugilistes confirmés, ces « gentlemen boxers » se cognent dans les règles. Celles dictées par le marquis de Queensberry, un aristocrate écossais qui codifia, en 1865, les combats de boxe anglaise. Bien loin du Fight Club psychotique imaginé par Chuck Palahniuk. Et si le « white collar boxing » n’a pas encore propulsé sur le devant de la scène un boxeur de la trempe de Mike Tyson ou de Sugar Ray Leonard, ses adeptes sont — dans l’immense majorité des cas — des amoureux du noble art.
« Singer McGregor et Mayweather »
De quoi relancer les critiques à l’encontre des deux youtubeurs combattants qui, jusqu’à récemment, n’avaient jamais fait état de leur passion pour la boxe. Fraîchement retraité de l’octogone, la star anglaise de la MMA (« Mixed Martial Art », qui inclut la boxe), Michael Bisping, n’a pas épargné les deux apprentis boxeurs. Dans son podcast « Believe You Me », le champion s’est agacé de la « parodie des sports de combat » offerte par les deux adversaires.
« Je n’ai pas de souci avec eux, ils font partie d’une nouvelle espèce, les youtubeurs, et se font une blinde d’argent. Mais restez à votre place ! Je trouve ça presque insultant pour tous ceux qui ont dédié leur vie au combat, ceux qui ont parcouru un chemin difficile pour devenir des champions. Et tout à coup, ces deux types, c’est presque comme s’ils se moquaient du sport, de la boxe ou du MMA. Il suffit de les voir dans ces énormes conférences de presse, à essayer de singer Conor McGregor et Floyd Mayweather, juste parce que de nombreuses personnes les suivent. »
S’il ne remet pas en question l’existence du combat, ou le fait « qu’ils se fassent en six rounds plus d’argent que 99 % des combattants professionnels », Michael Bisping, qui a entraîné à deux reprises KSI en marge d’événements organisés par l’UFC et EA Games, regrette que les deux youtubeurs « prétendent être des combattants ». Si les deux adversaires se sont sérieusement entraînés pour ce match, ses spectateurs ne doivent pas s’attendre à voir des boxeurs professionnels.
« Prouver » sa virilité
Si l’intérêt pugilistique de cette rencontre frôle le zéro, pourquoi KSI et Logan Paul ont-ils choisi cette discipline pour s’affronter ? Au-delà de l’aspect financier, le caractère intrinsèquement spectaculaire de la boxe est à prendre en compte. Même dénigré ou surmédiatisé, un combat de boxe suscite l’engouement — ou au minimum ne laisse pas indifférent. Pour Haude Rivoal, docteure en sociologie à l’université Paris-VIII, ce show est également l’occasion pour les deux hommes de « prouver » leur virilité en mettant en scène leur force physique. « Le genre est toujours une performance, autrement dit, chacun met en scène quotidiennement sa masculinité (ou sa féminité). Mais certaines performances de genre sont plus parodiques que d’autres, celle-ci en fait partie », dit-elle.
La société a beau évoluer petit à petit, « il y a toujours une fascination très persistante pour les masculinités “exceptionnelles”, de celles qui renvoient à des formes de virilisme (brutalité, excès de violence) », explique la chercheuse, pour qui il est important de « prendre en compte le contexte d’une société néolibérale où l’affrontement et la compétitivité font partie de notre quotidien. On joue donc ici sur des repères facilement compréhensibles par tous ».
Comme le montre le sociologue Akim Oualhaci dans ses travaux sur la boxe dans les quartiers populaires, ce sport est également un vecteur de construction d’une masculinité « respectable » où l’on apprend des valeurs (respect de l’adversaire, goût de l’effort etc.) et qui s’ouvre progressivement aux femmes. A des années-lumière des clichés portés par KSI et par Logan Paul qui, pour le moment, ne se partagent que le titre de champions du monde poids lourds du « trash talk ».