Le premier épisode d’« Adventure Time » a été diffusé le 5 avril 2010. / CARTOON NETWORK

Oh my Glob ! Après huit ans et dix saisons, le dessin animé Adventure Time, qui met en scène les pérégrinations d’un garçon et de son chien jaune dans un univers post-apocalyptique et hallucinogène, a livré son tout dernier épisode à la télévision américaine lundi 3 septembre, laissant les fans dans une solitude proche de celle du Roi des glaces, le méchant bleu de la série. Proposé par la chaîne câblée Cartoon Network aux 6-11 ans, mais aussi en France sur Gulli et Netflix, le programme a su aussi conquérir des millions d’adultes, étendre son empire en produits dérivés et devenir une référence de la pop culture sur le Web. Retour sur ce phénomène « fantalgébrique » – pour paraphraser Finn, le héros.

Avant de devenir une longue série à succès, Adventure Time fut un court-métrage conçu par Pendleton Ward, un gaillard texan barbu et timide, jeune animateur du studio indépendant Frederator. Le petit film farfelu est destiné, en 2008, à répondre à une commande de la chaîne pour enfants Nickelodeon. En parallèle, la vidéo acquiert une popularité virale sur le Net. Elle sera vue plus d’un million de fois selon The Guardian. Nickelodeon, à qui l’on doit Bob l’éponge, refuse cependant de lancer une série animée sur le concept de Pendleton Ward. C’est finalement à sa concurrente Cartoon Network que les studios Frederator vont vendre Adventure Time. Le premier épisode est diffusé le 5 avril 2010.

Adventure Time | All Opening Themes (2010-2018) | Cartoon Network
Durée : 05:23

Pop et post-apocalyptique

Les téléspectateurs y font la connaissance de Finn, un humain candide et enjoué d’une douzaine d’années à la tête serrée dans une coiffe blanche bizarre, et de Jake, son chien parlant, élastique et métamorphe. Unis comme les doigts de la main, les deux parcourent la planète Ooo, une terre multicolore ravagée par un conflit nucléaire – la guerre des champignons. Ooo est peuplée de créatures et de personnages pop et bizarres. Les séquences de onze minutes aussi malignes que loufoques et imprévisibles rencontrent un succès immédiat : 2,8 millions de personnes regardent le pilote.

Quatre ans plus tard, ils sont 14 millions de spectateurs hebdomadaires selon le magazine Rolling Stone et 3 millions de plus sur la fanpage Facebook. Côté presse, les critiques sont plutôt unanimes. En 2012, The Guardian parle du show comme « une émission sucrée pétillante et irisée, détachée des drames pré-ados et des animés superficiels qui semblent dominer la télévision pour enfants ». Consécration enfin quand Les Simpson, une des influences majeures de Pendleton Ward, adresseront un clin d’œil au dessin animé en parodiant son générique dans la saison 28.

Simpsons Time Couch Gag | Season 28 | THE SIMPSONS
Durée : 01:03

« Tout mon vécu d’aventures à la maison »

Outre la série de Matt Groening, Pendleton Ward, qui a grandi dans les années 1980 et 1990, évoque régulièrement l’influence du jeu de rôle Donjons et Dragons dans la recette d’Adventure Time. « Je voulais créer un dessin animé que j’aurais aimé enfant, explique-t-il à la presse ou en conférence, en complétant : J’étais un petit gros qui n’a jamais quitté la maison. Je n’étais pas un grand aventurier. Réaliser ce show m’a permis d’y mettre tout mon vécu d’aventures à la maison. »

Le créateur taciturne et discret ne se sent pas à l’aise dans la lumière. Il a du mal à affronter le succès planétaire de sa série devenue selon lui « une grosse bête », compte tenu des audiences, du nombre de produits dérivées et de sa popularité sur le Net grandissant à coups de GIF et de chansons reprises. Pendant la saison 5, Ward informe ses équipes qu’il prend du recul, mais conserve le droit d’intervenir dans sa création : « Je démissionne car ça me rend cinglé. » Le public ne l’apprend que quelques mois plus tard. Il demande à son coéquipier Adam Muto de reprendre son rôle de producteur exécutif.

Sagesse et tolérance

Si Adventure Time a su prospérer, c’est qu’elle trouve son point d’équilibre entre une histoire facile d’accès pour les enfants et une série un peu à part que les adultes n’ont pas honte de regarder, confortés par le retour à la mode des œuvres « geek ». A la différence de l’écrasante majorité des œuvres jeunesse, les personnages ne sont pas coincés dans l’enfance ou dans un rôle. Ils grandissent et progressent au fil des saisons.

C’est ainsi que, éternel naïf et optimiste au démarrage de ses aventures, Finn devient plus nuancé et réfléchi. L’épine dorsale de la série est la sincérité et l’amitié indéfectibles entre Jake et Finn, soulignée dans de nombreux articles. Une relation à mettre au tableau des plus belles bromances (mot-valise formé de brother et romance, désignant une amitié masculine très démonstrative) de la dernière décennie.

Le sandwich parfait | Adventure Time | Cartoon Network
Durée : 02:16

Bien que fantaisiste, imaginative et bourrée de références à la pop culture et aux jeux vidéo, la série garde une cohérence. Sous des dehors naïfs, les épisodes livrent des leçons de sagesse et des messages de tolérance envers les autres, aussi bizarres paraissent-ils. En témoignent plusieurs compilations en ligne de citations inspirantes. Le site spécialisé américain The Awl l’explique ainsi :

« Ces héros sont aussi faillibles que possible : ils sont tout à fait capables de montrer de l’égoïsme, de l’impatience et de la grossièreté, mais leur bonne nature l’emporte toujours, tout comme leur sagesse et leur capacité à redresser les choses. En fait, ils font beaucoup d’erreurs mais elles ne sont pas effacées comme par magie à la fin de chaque épisode. »

Les Mystères de Ooo : Le Roi des Glaces (5/7) | Adventure Time | Cartoon Network
Durée : 02:05

Une série qui casse les stéréotypes de la fiction

De la même façon les personnalités sont riches, et le passif des personnages solide. Leurs agissements s’expliquent. Le Roi des glaces, le méchant de la série, a des sentiments complexes et n’est pas tombé dans la colère par hasard. Les nombreuses princesses qui se partagent le règne sur Ooo, comme Marceline la reine-vampire ou la Princesse des flammes, ont des caractères bien différents. « Bubblegum est peut-être rose vif et girly, mais elle n’a pas été pensée comme une demoiselle en détresse », estime le magazine Time. C’est ainsi qu’Adventure Time casse les stéréotypes de la fiction sans cynisme, et son récit explore les méandres de l’optimisme et de la candeur sans faille. Tout en gardant son caractère perpétuellement inattendu et sans oublier de distiller des blagues et de nombreuses chansons sur les frites, l’amour ou le bacon.

Adventure Time - Bacon Pancakes Song In Various Languages
Durée : 02:52

La série ne s’arrête pas parce que sa réputation faiblit. Elle est due à une certaine lassitude des équipes, selon Rob Sorcher, le vice-président exécutif de Cartoon Network, cité par Libération : « Le temps était venu de conclure. » Ce dernier n’oublie pas non plus de souligner qu’Adventure Time aura été un des programmes les plus longs de Cartoon Network.