Le Parlement européen doit à nouveau se pencher, mercredi 12 septembre, sur le projet de directive censé adapter les droits d’auteur à l’heure du numérique. Pour les partisans du texte — industries culturelles, médias, artistes… — ce dernier est nécessaire pour assurer une meilleure rémunération des créateurs et des éditeurs dans l’économie actuelle d’Internet. Pour ses opposants — les grandes entreprises du Web et les défenseurs des libertés numériques —, ce texte est dangereux pour leur business et pour la liberté d’expression.

C’est en tout cas un sujet brûlant : rarement dossier n’a suscité autant d’affrontements au Parlement européen et dans les médias. Une intense bataille de lobbying a été livrée, débouchant sur une défaite pour les ayants droit, le Parlement ayant refusé le 5 juillet d’avaliser la version du texte concoctée par la commission juridique du Parlement. Les députés européens, réunis au complet cette semaine, doivent maintenant plancher sur une nouvelle version du texte, alors que les différents concernés ont continué ces dernières semaines de promouvoir massivement leurs arguments pour ou contre le texte.

Il est encore difficile d’anticiper les effets précis de cette directive, pour trois raisons. D’abord, parce que le Parlement peut, dès mercredi, entériner d’importantes modifications du texte, plusieurs dizaines d’amendements étant soumis au vote. Ensuite, parce qu’il s’agit d’une directive : si elle est adoptée, chaque Etat membre devra la traduire dans son droit national. Ainsi, les contours des nouvelles règles pourront varier selon les pays. Enfin, parce que la version que validera le Parlement mercredi ne sera pas définitive : elle devra être conciliée avec la version qu’a adoptée le Conseil de l’Union européenne (les Etats membres).

Il est toutefois possible d’appréhender, dans les grandes lignes, ce qui peut changer pour les Internautes si la directive est adoptée en l’état.

Un filtrage des contenus

L’un des points les plus contentieux de la directive est son article 13 : ce dernier obligera tous les sites qui permettent aux internautes de poster du contenu (réseau social, service de vidéo en ligne…) à nouer des accords avec les titulaires des droits d’auteur (de la musique, de l’image, de la vidéo…). Cet accord (et cette rémunération) permettra aux utilisateurs de partager légalement les contenus soumis au droit d’auteur, et aux plates-formes Internet de les laisser faire. Faute d’entente entre les plates-formes en ligne et les ayants droit, les premières devront mettre en place un système pour empêcher la mise en ligne des œuvres protégées.

Les plates-formes devront s’assurer, pour chaque contenu, qu’un accord avec ses ayants droit a été noué

Les plates-formes devront donc s’assurer, pour chaque contenu, qu’un accord avec ses ayants droit a bien été noué, et, si ça n’est pas le cas, d’empêcher leur utilisateur de poster ce contenu. Seront concernés tous les sites qui permettent aux internautes de poster du texte, du son et de la vidéo. Cela signifie concrètement que tous les contenus postés par les internautes seront inspectés, et que, si nécessaire, leur publication sera bloquée.

Comment vont s’y prendre les plates-formes ? La question n’est pas résolue : le texte du Conseil européen se borne à évoquer des mesures « appropriées et proportionnées », tout en excluant « une obligation générale de surveillance ». La directive devrait en tout cas prévoir un mécanisme d’appel pour les cas où une plate-forme supprime à tort un contenu.

Les internautes connaissent déjà, du moins partiellement, ce système : c’est YouTube. Le géant de la vidéo en ligne, détenu par Google, a noué avec de nombreux ayants droit des accords pour partager avec eux les revenus publicitaires associés à leurs contenus. YouTube dispose en outre d’un système de filtrage sophistiqué, ContentID, destiné à repérer les contenus protégés par le droit d’auteur. Très contesté, à la fois par les ayants droits pour ses insuffisances, et par les utilisateurs pour son zèle (il censure fréquemment des utilisations licites, comme la parodie ou le remix), ce système pourrait se généraliser à d’autres plates-formes en ligne.

Le partage d’articles de presse

L’article 11 de la directive — celui qui a le plus suscité de lobbying — veut pour sa part créer un « droit voisin » pour la presse sur Internet. Cela signifierait que lorsqu’une plate-forme numérique (Google ou Facebook sont les plus connues et les plus directement visées par la directive, mais cette dernière s’appliquera de manière beaucoup plus large) utilise tout ou partie d’un article de presse, elle devra s’acquitter d’une somme d’argent, dont le périmètre et le montant restent inconnus à ce stade.

Cela serait le cas, par exemple, lorsqu’un utilisateur de Facebook partage un article de presse sur sa page : dans ce cas, Facebook « aspire » la photographie associée à l’article, son titre et les premiers mots de l’article.

Exemple d'un article partagé sur Facebook, qui aspire le titre et l'illustration de l'article. / Le Monde

Google News, le portail qui agrège des liens vers des articles de presse et qui récupère une portion du contenu des médias de manière similaire, serait aussi concerné.

Exemple de la page d'accueil de Google News, où apparaissent les titres des articles et, dans certains cas, les photographies les accompagnant. / Capture d'écran

Dans la version de la directive qu’a adoptée le Conseil de l’Union européenne, est exclue de ce droit la reprise par les plates-formes des « parties non substantielles » des articles de presse. Une limite floue, qui avait été écartée de la mouture rejetée par le Parlement européen, et qui peut être interprétée différemment par chaque Etat membre.

Une incitation à limiter la place des articles de presse dans les résultats de recherche

Dans les faits : si Google et Facebook doivent passer à la caisse chaque fois qu’un internaute partage un lien, ce système pourra constituer une incitation à limiter la place des articles de presse dans leurs résultats de recherche (Google) ou la distribution de ces derniers sur les plates-formes sociales (Facebook). Deux exemples récents de droit voisins pour la presse, abondamment documentés dans la littérature scientifique, vont dans ce sens. En Espagne, Google a cessé de proposer des articles de la presse espagnole dans son portail Google News : les sites des journaux ont perdu entre 6 et 30 % de leur trafic (et donc une partie de leurs revenus publicitaires). En Allemagne, Google n’a pas cessé d’indexer les journaux, mais le géant de la presse et des médias Axel Springer a noté une diminution de 7 % de son nombre de visiteurs.

Certaines plates-formes de taille plus modeste ou qui ne souhaiteraient pas financer les éditeurs de presse pourraient désactiver « l’aspiration » du contenu et proposer à leurs utilisateurs de simples liens. Selon certains opposants, qui ont rebaptisé l’article 11 « link tax », d’autres plates-formes pourraient bloquer le partage de liens vers des éditeurs de presse qu’elle ne rémunère pas, même si cette éventualité, assure la Commission et les défenseurs de la directive, n’est pas prévue par le texte.