« Etre un “digital native” ne rend pas meilleur pour prendre des notes »
« Etre un “digital native” ne rend pas meilleur pour prendre des notes »
Propos recueillis par Marine Miller
Face à l’utilisation des ordinateurs en cours, André Tricot, professeur de psychologie à l’université de Toulouse et formateur à l’Ecole supérieure du professorat et de l’éducation Toulouse Midi-Pyrénées, rappelle que l’attention reste la principale ressource pour apprendre.
Comment l’ordinateur portable utilisé en cours par les étudiants influence-t-il leur apprentissage ?
Cela dépend des tâches auxquelles les étudiants assignent l’ordinateur. On peut imaginer que tel logiciel dans tel apprentissage pourra présenter une plus-value importante. Si l’on examine la tâche « prise de notes » par exemple, les travaux de recherche récents montrent clairement que l’utilisation de l’ordinateur affecte la qualité de cette prise de notes. Des chercheurs de Princeton et UCLA (Mueller, Oppenheimer, 2014) ont comparé la prise de notes au stylo et au clavier.
Avec le clavier, les étudiants écrivent plus de mots, mais leurs notes sont plus superficielles, moins structurées, et surtout les étudiants répondent moins bien à des questions conceptuelles à l’issue du cours. Dans leur étude, les chercheurs avaient pris soin de ne pas connecter les ordinateurs à Internet et de ne pas permettre l’utilisation d’autres logiciels. Dans d’autres études, on observe que les ordinateurs connectés à Internet dans l’amphithéâtre entraînent souvent une dispersion de l’attention dans des tâches autres que la prise de notes.
Il y a une recherche importante en la matière. Ces travaux montrent que les étudiants les moins avancés vont prendre des notes « verbatim » (mot à mot), tandis que ceux qui maîtrisent le mieux le contenu enseigné prendront déjà des notes organisées et hiérarchisées et, au moment de la révision, ils apprendront mieux. Il y a toutefois un paradoxe : si je donne un polycopié à mes étudiants avec l’intégralité du cours, je ne résous pas la différence entre ceux qui comprennent et ceux qui ne comprennent pas. C’est donc du ressort de l’enseignant que d’aider les étudiants à hiérarchiser. De manière intéressante, Mueller et Oppenheimer ont montré que le simple fait de dire explicitement aux étudiants de ne pas prendre des notes « verbatim », mais des notes organisées, ne compense pas la détérioration des notes prises au clavier.
De nombreuses études montrent les effets négatifs des écrans sur le développement cognitif des enfants, mais quels sont les effets de l’ordinateur pour des adultes en situation d’apprentissage ?
En trente ans, il y a eu une évolution majeure : l’environnement informationnel a considérablement augmenté. Au début des années 1970, un Américain moyen lisait à peu près une heure et quarante-cinq minutes chaque jour ; en 2010, ce même Américain lit quotidiennement environ quatre heures et trente minutes (en ne comptant que les lectures supérieures à une minute). Si cet environnement est sans doute unique dans l’histoire de l’humanité, le processus d’apprentissage, lui, n’a pas changé. Comme il y a 10 000 ans, pour acquérir un automatisme, c’est la pratique répétée qui fonctionne. Ce qui change entre les deux, ce sont les outils. En sciences, les logiciels de simulation sont devenus banals, en mathématiques, l’usage des calculettes s’est imposé, en langues, c’est le MP3.
Mais, pour l’espèce humaine, la principale ressource pour apprendre, c’est encore l’attention, notamment pour les apprentissages académiques. La croyance dans le « multitasking » est une croyance fausse. La capacité attentionnelle de l’humain reste très limitée. Un batteur de jazz peut se servir de ses quatre membres pour battre simultanément quatre rythmes différents, parce qu’il a réussi à atteindre un très haut niveau de pratique. Etre « multitâche » nécessite en fait une expertise spécifique et de très haut niveau, ou une longue évolution de l’espèce comme avec la marche, où nous utilisons aussi nos quatre membres simultanément.
Ce que vous exposez va à l’encontre du portrait du « digital native » théorisé par Marc Prensky en 2001…
Le mythe des « digital natives » est un mythe qui sert aux naïfs. Un enfant qui devient un adolescent qui devient un jeune adulte peut avoir utilisé un ordinateur sans jamais avoir utilisé un logiciel de traitement de texte. Il aura beau être un « digital native », cela ne lui servira pas à être meilleur pour prendre des notes. La seule compétence qu’il aura en plus, c’est de ne pas être effrayé par l’outil technologique.