Cyclisme : battue par Valverde, la France sans titre mais sans « seum »
Cyclisme : battue par Valverde, la France sans titre mais sans « seum »
Par Clément Guillou
Romain Bardet a pris la deuxième place du championnat du monde, concluant, à la place de Julian Alaphilippe, une partition collective jouée à la quasi-perfection.
Romain Bardet, Julian Alaphilippe et Rudy Molard dans les rues d’Innsbrück. / HEINZ-PETER BADER / REUTERS
L’équipe de France avait des faux-airs de Belgique, dimanche 30 septembre à Innsbrück : la plus belle équipe n’est pas devenue championne du monde, battue par un Alejandro Valverde avec qui il ne fallait pas en conclure au sprint.
Comme les Belges à la Coupe du monde de football en Russie, l’équipe de France ne repart pas sans rien : la médaille d’argent de Romain Bardet est de valeur, compte tenu de l’incroyable désert tricolore dans ce siècle – une seule médaille, en bronze, pour Anthony Geslin en 2005 juste derrière... Valverde.
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Comme les Belges en Russie, elle refusait de se reprocher quoi que ce soit, convaincue qu’il n’y avait rien à faire pour déjouer les plans de celui surnommé « l’imbattable » en Espagne, et qui fera, compte tenu de sa suspension pour dopage en 2010, un ambassadeur gênant du cyclisme l’an prochain.
A chaud, Romain Bardet était dégoûté, à moins que ce ne soit les jambes brûlantes qui lui faisaient cette gueule arrachée, derrière la ligne. Plus tiède, médaille autour du cou, il semblait avoir retrouvé sourire :
« Au sprint, je savais que ce serait difficile contre Alejandro Valverde. Mais, une fois au sommet, il n’y avait pas beaucoup d’opportunités. J’ai fait le maximum. Je ne vais pas faire la fine bouche de la deuxième place. »
« On est toujours déçu quand on fait deuxième »
Dans le cyclisme français, la vérité sans filtre sort souvent de la bouche de Cyrille Guimard, un homme qu’on appelait « Napoléon » à l’époque où il conduisait, sans ceinture, la Renault suivant Bernard Hinault sur les routes du Tour de France. Que pense-t-il de cette course au scénario décevant, qui s’est résumée à une course de côte dans l’effrayant Gramartboden ?
« On est toujours déçu quand on fait deuxième. Mais j’ai beaucoup de satisfaction sur le comportement de l’équipe, qui a fait la course que l’on avait décidée à 98 %. Tous ont donné le meilleur d’eux-mêmes. On est battu par plus fort sans avoir de regret, on ne peut rien ajouter. Aujourd’hui, Valverde était au-dessus de Romain Bardet, de Julian Alaphilippe et de Thibaut Pinot. On n’a pas fait d’erreur. »
Kerstin Joensson / AP
Cyrille Guimard défend ainsi son choix : celui d’avoir tout misé sur Julian Alaphilippe. Il n’a pas demandé à Romain Bardet ou Thibaut Pinot d’attaquer dans les difficultés précédentes, et a préféré compter sur la force du nombre dans le derrnier mur, dont il pressentait à raison qu’il serait décisif. « Le but était de bien contrôler, pour qu’il n’y ait pas d’attaque jusqu’au pied de la dernière bosse », confirmait Rudy Molard. Mais la tactique « bien huilée » (Bardet), n’a pas payé. A mi-pente, le favori français s’est figé, pris de crampes dans ces descentes où certains s’étaient mis à zigzaguer, comme un flash-back du cyclisme d’avant-Guerre.
La France n’est donc toujours pas championne du monde. C’est une disette qui dure, mais Guimard a, en deux ans, redonné une façade plus convenable à l’équipe de France élite.
A Doha, en 2016, elle était partie au combat divisée entre ses sprinteurs Nacer Bouhanni et Arnaud Démare, mais unie dans la démobilisation. Elle a, cette fois, offert le spectacle d’une formation soudée, au-dessus des ambitions personnelles et des équipes de marque –celles qui payent ces champions le reste de l’année.
Anthony Roux et Rudy Molard ont accompli leur devoir sans coup férir. Thibaut Pinot avait pour consigne de sortir avec d’autres outsiders, le cas échéant : il le fit au sommet de l’avant-dernière bosse. Puis de hausser le rythme dès le pied du dernier mur, ce qu’il fit encore, et avec quelle autorité puisque seuls cinq hommes s’accrochaient à sa roue : Bardet, Alaphilippe, Valverde, Michael Woods et Gianni Moscon. Une sélection des meilleurs grains. Et il lui restait encore du jus, plus haut, pour passer au sommet en même temps que Julian Alaphilippe, et prendre finalement la neuvième place à l’arrivée.
« Les crampes, on ne les voit pas venir »
Des Bleus, Thibaut Pinot était le seul à annoncer la couleur arc-en-ciel avant la course. Il était encore le seul, à l’arrivée, à souligner que « collectivement on était fort, donc on visait le titre ».
Pas de regret personnel pour autant, assurait Pinot :
« J’avais mon but, mon rôle, je l’ai accepté. Je ne voulais surtout pas qu’on me reproche quoi que ce soit à l’arrivée. Pour moi, Julian était plus fort que moi sur une course comme ça, c’était normal que je me sacrifie pour lui. Au pied de la bosse, je lui ai demandé s’il voulait toujours qu’on durcisse, il m’a dit oui. Les crampes, on ne les voit pas venir. »
« Il y avait beaucoup de pression sur Julian, peut-être beaucoup trop, reprenait Guimard. Mais il a assumé son rôle à la perfection. »
L’intéressé ne se cherchait pas d’excuse à l’arrivée d’une course sans doute trop usante pour lui. Posé sur coussin d’air depuis l’été, gagnant tout ce qui se présentait sous ses roues, le détonnant Alaphilippe n’avait « pas ressenti depuis longtemps cette sensation de ne plus pouvoir pédaler ». Elle sera oubliée dans deux semaines, quand il tentera de conquérir son premier « Monument », sur le Tour de Lombardie. Pinot et Bardet seront deux autres des favoris, ce qui situe la force collective d’une génération qui a placé le cyclisme français au deuxième rang du classement mondial par nations. Derrière la Belgique.