En Indonésie, désolation et chaos après le tsunami
En Indonésie, désolation et chaos après le tsunami
Par Hervé Morin, Bruno Philip (Correspondant en Asie du Sud-Est)
Le bilan dépasse le millier de morts et pourrait augmenter. Le désastre a été mal anticipé.
Une adolescente de 15 ans secourue à Palu, sur l’île de Sulawesi, dimanche 30 septembre. / ASIA516 / AP
Plus de mille morts, selon une dernière évaluation qui s’alourdit d’heure en heure : le nombre des victimes répertoriées du séisme, suivi d’un tsunami, qui a frappé vendredi 28 septembre au soir la province de Sulawesi centre, ne cesse d’augmenter – c’est toujours le cas en pareilles circonstances, surtout quand une catastrophe survient dans des régions reculées et mal armées pour faire face aux désastres. « Le bilan des morts va continuer de s’élever », a confirmé dimanche Sutopo Purwo Nugroho, porte-parole de l’Agence indonésienne de gestion des risques naturels (BNPB). Le vice-président de l’Indonésie, Jusuf Kalla, a estimé que les morts risquent de se compter « par milliers ».
Dans les rues de Palu, capitale de la province de Sulawesi centre, qui a été durement touchée par le tremblement de terre et les vagues de près de six mètres provoquées par le tsunami, les sauveteurs tentaient, lundi 1er octobre, de retrouver des survivants dans les ruines. Les corps sans vie de dizaines de victimes s’alignaient dans les rues, le long des décombres. Sur une colline dominant la ville, une tranchée de plus d’une centaine de mètres de long a été creusée pour y déposer des centaines de cadavres. Les enterrements de masse ont commencé rapidement, aussi bien parce que la tradition islamique, dans cette province à majorité musulmane, impose d’ensevelir les morts au plus tôt, que pour éviter la propagation d’épidémies.
Appel à l’aide
Des scènes de pillage ont été observées en fin de semaine par des journalistes locaux : des centaines de personnes ont volé tout ce qu’elles pouvaient (fioul domestique, huile, eau, nourriture) dans des supermarchés épargnés par le désastre. « Nous n’avons plus rien, il faut manger ! », criaient des gens. Interrogé par le correspondant local de l’Agence France-Presse, un photographe indonésien a expliqué : « Il n’y a plus qu’une station d’essence encore en activité, les gens n’ont plus d’essence et commencent à être désespérés. » Plus d’un millier de prisonniers ont profité du séisme pour s’enfuir de trois maisons d’arrêt ébranlées ou en partie détruites par les secousses, a rapporté le ministre de la justice.
Un pont détruit à Palu, dans la province indonesienne de Sulawesi centre, le 1er octobre. / JEWEL SAMAD / AFP
Le président de la République indonésienne, Joko Widodo, s’est rendu à Palu dimanche en fin d’après-midi. Il a exhorté les sauveteurs à « travailler jour et nuit » pour trouver des survivants. Mais alors que le gouvernement indonésien vient officiellement, lundi, de faire appel à l’aide internationale – l’Union européenne a annoncé l’octroi d’une enveloppe d’un million et demi d’euros –, les moyens dont disposent sur place les responsables restent limités. Dimanche, les cris de détresse qui s’élevaient de l’hôtel Roa Roa, le plus chic de Palu, se sont tus : les sauveteurs, obligés de soulever les pans de béton écroulés avec des pioches, n’ont pas réussi à temps à dégager les survivants. Selon la BNPB, 71 étrangers logeaient dans cet hôtel de huit étages, dont trois Français et un Sud-Coréen.
Pour l’instant, les secours affluent par avions militaires qui, seuls encore, peuvent se poser sur l’aéroport de Palu, fermé aux transports civils. L’un des aiguilleurs du ciel, resté jusqu’au bout seul à son poste, vendredi à l’heure du séisme, pour guider un avion qui venait de décoller, est désormais salué comme un « héros national » dans tout le pays : réalisant que la tour de contrôle allait s’écrouler, Anthonius Gunawan Agung, 21 ans, a sauté du quatrième étage. Il est mort le lendemain des suites de ses blessures.
Le bilan des victimes risque peut-être également de s’alourdir, car personne n’avait encore pu, lundi en fin de matinée, accéder à la ville côtière de Donggala, située à l’embouchure de la rivière Palu – ce qui fait redouter un bilan plus lourd encore. Des images diffusées par la chaîne de télévision Metro TV ont montré les maisons dévastées de cette ville, qui est la plus proche de l’épicentre du séisme. Les habitants ont-ils pu fuir à temps le tsunami ? Cette agglomération, capitale d’une municipalité de près de 300 000 habitants, que l’on atteint d’ordinaire en une demi-heure depuis Palu, est bloquée en raison des glissements de terrain et de l’affaissement des routes, provoqués par le tremblement de terre d’une magnitude de 7,5 sur l’échelle de Richter. Selon l’un des responsables de l’ONG Save the Children, Tom Howells, « l’accès à ces zones reste un énorme problème et on peut redouter des dégâts très importants et de nombreuses victimes autour de Donggala ».
Les « bouées » d’alerte hors d’usage
Des questions se posent déjà à propos de l’absence de mesures préventives efficaces mises en place dans une région régulièrement ébranlée par séismes et tsunamis. Le 16 décembre 2017, au lendemain d’un tremblement de terre d’une magnitude de 6,9 qui avait frappé le sud de l’île de Java, le porte-parole de la BNPB avait fait cette stupéfiante déclaration, qui n’a jamais été suivie d’effets : « Depuis cinq ans, les “bouées” d’alerte au tsunami [placées en haute mer en Indonésie] ne fonctionnent plus », avait prévenu M. Sutopo. La raison ? Tout simplement une maintenance non régulière, et le fait que les pêcheurs se servent de ces objets comme des ancres pour leurs bateaux…
A Palu, dans le province indonésienne de Sulawesi centre, le 1er octobre. / JEWEL SAMAD / AFP
S’exprimant ce jour-là à Djakarta devant des journalistes, le porte-parole de la BNPB avait précisé : « Nous sommes désormais obligés de compter sur d’autres bouées mises en place par cinq pays voisins : l’Inde, dont le dispositif surveille la zone d’Aceh [où le tsunami de 2004 avait faitprès de 170 000 morts], la Thaïlande, chargée de surveiller la mer d’Andaman, l’Australie, qui s’occupe de la partie sud de l’Indonésie, et une bouée appartenant aux Etats-Unis, qui a été placée au nord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. »
Cependant, pour Rémy Bossu, directeur du Centre sismologique euro-méditerranéen, qui a participé à la conception du système d’alerte tsunami en Méditerranée, la présence de ces bouées, conçues pour détecter les grands tsunamis transocéaniques, « aurait probablement été inopérante dans ce cas », en raison de la faible distance entre le séisme et les zones côtières sinistrées.
L’hypothèse est que le tsunami n’a probablement pas été engendré par une brusque rupture verticale de la croûte terrestre au fond de l’océan, comme lors du séisme du Tohoku au Japon en 2011. A Sulawesi, où les plaques ont coulissé horizontalement, « c’est plutôt un glissement de terrain sous-marin, engendré par le séisme, qui est suspecté ».
Baie en entonnoir
Un tel phénomène, difficile à déceler, parfois décalé dans le temps, peut engendrer localement un mur d’eau dévastateur. D’autant que Palu se situe au fond d’une baie en entonnoir propre à favoriser l’élévation du tsunami. « Le message de prévention, près des côtes, insiste Rémy Bossu, c’est que, dès lors que vous ressentez une secousse durant trente à soixante secondes, ou que vous avez du mal à vous tenir debout lors du séisme, il faut gagner les hauteurs. »
Selon M. Sutupo, même si la gestion des catastrophes naturelles en Indonésie s’est améliorée depuis la tragédie de 2004 à la suite du tsunami d’Aceh, l’« anticipation » des catastrophes ne fait pas partie de la culture indonésienne, ce qui explique le manque de réactivité appropriée quand une catastrophe survient.