LES CHOIX DE LA MATINALE

Sensuel, délicat, politique, historique, fantastique... Les livres de la semaine nous invitent à la réflexion et à l’évasion.

ROMAN. « Le Cœur blanc », de Catherine Poulain

Deux ans après Le Grand Marin (L’Olivier, 2016), peinture de la vie sur un chalutier péchant le flétan en Alaska, qui révéla Catherine Poulain, l’écrivaine, devenue bergère dans le Médoc, poursuit le récit de ses pérégrinations avec Le Cœur blanc.

Un livre qui parle du corps, celui des saisonniers employés dans les vergers et les champs de Provence, de leurs histoires inscrites dans leur chair. Les sensations affleurent – épuisement, ivresse, désir –, tandis que se démène une « créature aux reins brûlants ».

Pour élégiaque et sensuel qu’il soit, Le Cœur blanc est un roman politique, qui porte sur le travail, ses conditions d’exercice, les accidents et l’éreintement qu’il génère. Un roman viscéralement féministe, aussi, où alternent les voix de Mounia et de Rosalinde – sœurs en esprit et en aventures de Mouna, l’héroïne du Grand Marin. Macha Séry

Extrait de la couverture du roman « Le Cœur blanc », de Catherine Poulain. / L’OLIVIER

« Le Cœur blanc », de Catherine Poulain, L’Olivier, 256 pages, 18,50 €.

ROMAN. « Le Meurtre du Commandeur », d’Haruki Murakami

Dans les deux tomes de son nouveau roman, Haruki Murakami explore, la langue limpide et suggestive, les ressorts de la création artistique. Sans théorisation excessive, il fait confiance au récit pour saisir les contours d’une faculté mystérieuse – la créativité du peintre qu’il met en scène, bien sûr, mais celle de l’écrivain lui-même, aussi, dont toutes les figures d’artistes dans le roman sont des métaphores ou des représentants.

C’est au moment où le narrateur renonce aux portraits de commande pour se consacrer à sa propre peinture que Le Meurtre du Commandeur bascule dans le fantastique. Conséquence aussi bien que condition de sa capacité créatrice, l’abolition des frontières entre le rêve, le réel et le fantastique est le signe de l’entrée du peintre dans un état propice à la production artistique.

Si elle est au cœur du roman, la réflexion n’étouffe ni ne surplombe pourtant jamais le récit. Le grand art de Murakami est au contraire de la subordonner tout entière à la narration, à laquelle elle ne semble jamais préexister.

C’est bien une histoire, que nous raconte, pour notre plus grand plaisir, l’écrivain japonais. Celle d’un peintre en mal d’inspiration, qui s’installe dans la demeure d’un artiste de génie quand sa femme le quitte. Lorsqu’il découvre, dans le grenier, une œuvre inconnue du célèbre peintre, sa vie bascule. La réalité se métamorphose et lui impose des épreuves qu’il lui faudra surmonter s’il veut devenir à son tour un véritable créateur. Florence Bouchy

BELFOND

« Le Meurtre du Commandeur. Livre 1. Une Idée apparaît », et « Livre 2. La Métaphore se déplace » (Kishidancho Goroshi), d’Haruki Murakami, traduit du japonais par Hélène Morita et Tomoko Oono, Belfond, 456 pages, 23,90 € et 480 pages, 23,90 €.

HISTOIRE. « L’Afrique ancienne », sous la direction de François-Xavier Fauvelle

Longtemps, pour évoquer l’Afrique, les historiens se sont focalisés sur la présence européenne, que ce soit, naguère, pour servir la cause coloniale, ou pour porter un regard critique. Mais l’histoire rigoureuse des sociétés africaines est devenue une discipline à part entière. Avec ses maîtres, comme François-Xavier Fauvelle, qui a dirigé L’Afrique ancienne, livre magistral et unique, qui devrait marquer l’historiographie par la façon dont il rassemble toute la richesse de savoirs jusque-là éparpillés et réservés aux initiés.

Les textes, rédigés par les meilleurs spécialistes, sont enrichis par des images, des cartes et des illustrations, pour certaines rares et inédites.

Par cette somme, fruit de trois ans de travail collectif avec la vingtaine de chercheurs qu’il a réunis, François-Xavier Fauvelle poursuit son œuvre savante, qu’il s’efforce de rendre accessible au grand public, en adoptant un style non académique mais respectueux de la rigueur scientifique. Une arme redoutable pour déconstruire les clichés les plus tenaces et réintégrer l’Afrique dans la conversation des savoirs. Joan Tilouine

BELIN

« L’Afrique ancienne. De l’Acacus au Zimbabwe. 20 000 ans avant notre ère-XVIIe siècle », sous la direction de François-Xavier Fauvelle, Belin, « Mondes anciens », 680 pages, 49 €.

RÉCIT. « Le Sillon », de Valérie Manteau

Voilà une écrivaine qui a le don d’avancer masquée. Après avoir, par pudeur, fait en sorte de ne pas présenter Calme et tranquille (Le Tripode, 2016), son bouleversant premier livre, comme un texte sur ou autour de Charlie Hebdo – la quatrième de couverture dit simplement qu’il décrit « l’irruption brutale de la violence dans la vie d’une jeune femme », elle offre, avec Le Sillon, un roman lui aussi légèrement déguisé.

Il commence comme le récit d’une liaison vacillante avec un Turc pour se transformer en précis de décomposition d’un pays. Sans jamais cesser de s’afficher comme la description des déambulations à travers Istanbul de la narratrice, sur les traces du journaliste d’origine arménienne Hrant Dink, assassiné en 2007.

Installée sur la rive asiatique de la ville, où bouillonne une société civile attachée aux droits des minorités, elle marche, s’assoit pour fumer une cigarette, discute, s’implique dans la vie de la cité, milite en faveur des journalistes et des écrivains poursuivis après la tentative de coup d’Etat de juillet 2016…

L’écriture de Valérie Manteau possède une grâce et une légèreté qui lui permettent d’entremêler l’évocation de ce qui se passe dans la tête de la jeune Française avec la description de ce qui advient dans les rues et dans le pays, tout en retraçant l’histoire de Hrant Dink. Elle se tisse dans les scènes vues autant que dans les textes qu’elle lit, qu’ils soient de Dink, de la romancière Asli Erdogan ou de la dramaturge britannique Sarah Kane. Et elle n’a pas à rougir à leurs côtés. Raphaëlle Leyris

LE TRIPODE

« Le Sillon », de Valérie Manteau, Le Tripode, 272 pages, 17 €.

ROMAN. « Le Discours », de Fabrice Caro

Il y a une douceur mélancolique dans Le Discours, de Fabrice Caro, qui surprendra ceux le connaissant comme auteur acclamé de bande dessinée, sous le nom de Fabcaro. Et plus particulièrement ceux qui l’ont découvert avec le tordant album Et si l’amour c’était aimer (6 Pieds sous terre, 2017), où il dynamitait le couple avec enthousiasme.

Non pas que celui-ci se porte bien dans son deuxième roman (douze ans après Figurec, Gallimard, 2006), qui lance la collection « Sygne » chez Gallimard : trente-huit jours plus tôt, Sonia a annoncé au narrateur, Adrien, qu’elle avait « besoin d’une pause ».

Quand on le rencontre, son chagrin et son inquiétude sont exacerbés par deux événements presque concomitants. D’une part, sur le coup de 17 h 24, il a envoyé un texto à Sonia. D’autre part, alors qu’il guette la réponse, qui ne vient pas, durant un dîner familial, son futur beau-frère lui demande de prononcer un discours lors de son prochain mariage avec sa sœur.

Tandis que le dîner s’étire selon une immuable chorégraphie, Adrien imagine différentes versions de cette prise de parole, à mesure qu’il déroule son passé amoureux et tente d’analyser les signes que lui envoient l’univers, sa famille et le gigot, et ce qu’ils disent de son avenir avec Sonia. Autour de cet irrésistible loseur, Fabrice Caro tisse un roman doux-amer et souvent hilarant, délicieux hymne, non dénué d’espoir, aux inadaptés de l’existence. R. L.

GALLIMARD

« Le Discours », de Fabrice Caro, Gallimard, « Sygne », 208 pages, 16 €.