Russie, Europe et Turquie tentent de pérenniser la trêve en Syrie
Russie, Europe et Turquie tentent de pérenniser la trêve en Syrie
Par Marc Semo, Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante), Marie Jégo (Istanbul, correspondante)
La rencontre entre Poutine, Macron, Merkel et Erdogan, à Istanbul, confirme le retour du président turc sur la scène internationale.
Dans un camp de déplacés, près d’Idlib, le 25 octobre. / AMER ALHAMWE / AFP
Le sommet sur la Syrie réunissant, samedi 27 octobre en fin d’après-midi, les dirigeants russe, français, allemand et turc ne devrait pas durer plus de deux heures. Mais le symbole est là avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron et Angela Merkel entourant Recep Tayyip Erdogan au bord du Bosphore. L’objectif premier est de consolider le compromis négocié le 17 septembre à Sotchi, au bord de la mer Noire, entre les présidents russe et turc pour éviter un assaut des forces du régime syrien sur la poche d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie – la dernière région encore contrôlée par la rébellion –, et l’exode des quelque 3 millions de civils qui y vivent vers la Turquie.
Il s’agit aussi de relancer les tractations pour trouver une solution au conflit. Mais surtout, pour l’homme fort d’Ankara, c’est une nouvelle occasion de marquer son retour sur la scène diplomatique internationale, déjà amorcé avec l’affaire Khashoggi, le journaliste saoudien assassiné dans le consulat de son pays à Istanbul.
« Passerelle »
Ibrahim Kalin, le porte-parole de la présidence turque, a assuré que tous les aspects du conflit en Syrie seraient discutés. Le Kremlin est beaucoup plus prudent. « Il ne faut pas s’attendre à des percées », a convenu le 19 octobre son porte-parole, Dmitri Peskov. Mais par souci de complaire à son partenaire turc, Vladimir Poutine fera le déplacement, tout en prenant soin de ménager son partenaire iranien, absent du tour de table. « Une telle réunion au plus haut niveau aurait été encore impensable il y a quelques mois », relève-t-on à Paris, tout en soulignant l’originalité de ce « format à quatre qui n’a pas vocation à être pérenne mais à créer une dynamique en un moment critique ».
Deux des pays présents sont des acteurs clés dans le conflit : la Russie, dont l’intervention militaire en septembre 2015 a sauvé un Bachar Al-Assad alors aux abois, et la Turquie, qui reste le principal soutien d’une rébellion toujours plus affaiblie sur le terrain. Moscou et Ankara sont avec Téhéran les piliers du processus dit d’Astana lancé en décembre 2016, qui a permis d’instaurer il y a un an quatre « zones de désescalade » en Syrie depuis reconquises par les forces du régime soutenues par leurs parrains russe et iranien, à l’exception de celle d’Idlib.
La France est, pour sa part, engagée dans la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique, même si sa contribution reste minime par rapport à celle des Etats-Unis. L’Allemagne, quant à elle, n’a aucune présence militaire en Syrie, mais elle accueille nombre de réfugiés et devrait à terme, s’il y a une transition politique, contribuer comme les autres membres de l’UE à financer la reconstruction, dont le coût est estimé par l’ONU à au moins 250 milliards de dollars. Paris et Berlin sont par ailleurs membres du « small group » sur la crise syrienne qui réunit aussi Washington, Londres et les grandes capitales arabes.
« Il s’agit d’être une passerelle », explique-t-on à Paris, la présence des Etats-Unis et de l’Iran autour d’une même table étant impossible à Istanbul. Le président français s’est entretenu dimanche et à nouveau le 25 octobre avec Donald Trump sur le dossier syrien. Prévu initialement début septembre, ce sommet avait été repoussé notamment sous la pression de Paris. Motifs : les risques d’offensive sur Idlib, mais aussi la crainte, alors que les tensions américano-turques étaient à leur comble à cause de la détention du pasteur américain Andrew Brunson – depuis relâché –, que le sommet soit perçu comme un front antiaméricain.
« Obligations »
A la veille de la réunion, le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est employé à apaiser le courroux de Téhéran, furieux d’être écarté, en recevant une délégation le 24 octobre. « Personne ne peut laisser l’Iran de côté dans les questions concernant la Syrie », a protesté Hossein Jaber Ansari, porte-parole de la diplomatie iranienne. Dans la même veine conciliatrice, Nasser Al-Hariri, président de la Commission syrienne de négociations (CSN, principale organisation de l’opposition syrienne), devait lui aussi être reçu à Moscou vendredi 25 octobre. En l’absence des Etats-Unis, Vladimir Poutine peut aisément se poser en maître du jeu.
Le cessez-le-feu d’Idlib reste respecté, vaille que vaille. Il prévoyait notamment l’instauration d’une zone démilitarisée sur 15 à 20 kilomètres, le retrait des armes lourdes, la mise sous tutelle des groupes les plus radicaux. « Toutes les armes lourdes n’ont pas encore été retirées et tous les membres des organisations terroristes ne sont pas partis, mais nos partenaires turcs font de leur mieux pour s’acquitter de leurs obligations », a reconnu le chef du Kremlin. Mais l’accord reste très fragile, d’autant que le régime ne cache pas sa volonté de reconquérir ce territoire.
Les ambitions des participants au sommet, à commencer par Emmanuel Macron, sont néanmoins plus larges. Avec des exigences très concrètes : permettre l’acheminement de l’aide humanitaire alors que six convois de l’ONU sont bloqués, l’abrogation par le régime du décret expropriant les réfugiés et les déplacés, mais aussi la relance des négociations, avec la mise en place du comité de 150 membres chargé de rédiger la nouvelle Constitution – composé à parts égales de représentants de l’opposition, du régime et d’indépendants choisis par l’ONU. Damas a toujours bloqué ce processus. Un accord à quatre au sommet d’Istanbul permettrait peut-être « une pression maximale ». Mais jusqu’à présent, la Russie a toujours refusé de contraindre le régime à s’engager dans la négociation politique.