Que l’on soit amateur de superhéros, de bande dessinée ou simplement curieux, les récentes sorties en matière de BD anglo-saxonne en France ont de quoi satisfaire tous les appétits. La plupart des éditeurs français sont d’ailleurs présents avec certains de leurs auteurs au Comic Con Paris, qui se tient du vendredi 26 au dimanche 28 octobre, à la Grande Halle de La Villette. Sélection.

  • « Batman : White Knight » : chevalier d’infortune

Urban comics

En quatre-vingts ans d’existence, la chauve-souris de Gotham a souvent été malmenée : d’abord par ses ennemis, mais aussi par ses auteurs, qui n’ont pas hésité à la mettre à l’épreuve de l’âge, de la solitude ou de l’épuisement. Sean Murphy est de ceux-là. Dans White Knight, qui vient de paraître, cet auteur de comics parmi les plus en vue fait passer un sale quart d’heure à Batman. Pis, il écorne salement son image. En effet, le chevalier noir est taxé de semer le trouble dans la ville, de faire preuve de brutalité et d’être couvert par la police.

Aux manettes de ce retournement d’opinion, le Joker, qui semble avoir perdu sa guignolerie et être entré dans le droit chemin après un traitement médical et un passage à tabac par Batman. Le clown frappeur reprend même son nom, Jack Napier, et se met en tête de devenir un porte-parole des laissés-pour-compte de Gotham, un chevalier blanc. Démarche sincère ou énième coup de poker, toujours est-il que ses arguments ont convaincu au-delà de la ville pécheresse. En effet, cette revisite de Murphy, souvent comparée à celle de Frank Miller dans les années 1980, est régulièrement en rupture de stock aux Etats-Unis depuis sa sortie à l’automne 2017. Il faut dire que le propos de l’auteur entre largement en résonance avec les débats outre-Atlantique sur les violences policières, les privilèges ou le racisme.

Batman : White Knight, de Sean Murphy, Urban Comics, 240 pages, 22,50 euros.

  • « I Kill Giants » : résilience onirique

Hi Comics - Bragelonne

Difficile de ne pas se prendre d’amitié pour Barbara Thorson : cette collégienne binoclarde n’a l’air d’avoir peur de rien, réfugiée derrière une certaine désinvolture et des réparties fracassantes. En même temps, impossible de se laisser molester par les gens les plus cools du bahut quand on est chasseuse de géants. C’est du moins ce que prétend à tue-tête la jeune fille avec, pour preuve, des grimoires gribouillés et un massif marteau baptisé Coveleski.

Mais l’attitude belliqueuse et pince-sans-rire de Barbara cache sans nul doute une extrême solitude, de la détresse et des peurs adolescentes. Dit-elle la vérité à propos des géants ou est-ce son imagination qui parle ? Et si c’était la réalité qui était monstrueuse ? Joe Kelly (scénario) et Jim Ken Nimura (dessin) signent ici une BD tout en nuances de noir et blanc, mais aussi de sentiments sur le chagrin et l’enfance.

I Kill Giants, de Joe Kelly et Jim Ken Nimura, Hi Comics - Bragelonne, 184 pages, 19,90 euros.

  • « La Ballade de Halo Jones » : femme du rétrofutur

Delirium

Halo Jones s’ennuie. Au cinquantième siècle, l’adolescente et ses concitoyens sont quelque peu prisonniers de l’Anneau, une ville fermée flottante et poisseuse, sans guère d’avenir. Elle qui rêve d’évasion et d’aventure va se retrouver embarquée dans une épopée dangereuse avec ses amies Rodice et Brinna et leur chien robot très protecteur Toby. Sans avoir des capacités ou une intelligence particulière, Halo va embrasser plusieurs carrières et forger son destin avec sa seule détermination. Ses explorations vont la conduire sur des terrains de plus en plus sombres.

Publiée à la moitié des années 1980 dans le magazine britannique culte pour ados 2000 AD, cette série d’anticipation scénarisée par Alan Moore (V pour Vendetta, Watchmen) et dessinée par Ian Gibson (Judge Dredd) est reconnue comme un chef-d’œuvre de science-fiction féministe. A l’origine en noir et blanc, la série, proposée en intégrale, a été recolorisée avec beaucoup de soin et sans perdre sa noirceur par Barbara Nosenzo.

La Ballade de Halo Jones, d’Alan Moore et Ian Gibson, Delirium, 216 pages, 29 euros.

  • « Motor Girl » : douleurs de guerre

Delcourt comics

Dans la touffeur d’une casse auto en plein désert, Samantha, une ex-militaire torturée en Irak, vit recluse avec, pour seule compagnie, Libby, sa vieille propriétaire, et un ami imaginaire, un imposant et bougon gorille. En dehors des clients, des migraines et des cauchemars, la vétérane de guerre est relativement tranquille jusqu’au jour où une soucoupe volante débarque avec, à son bord, de comiques petits extraterrestres.

Cette série de Terry Moore, chantre de la BD indépendante révélé avec Strangers in Paradise, pour laquelle il a emporté le Eisner de la meilleure série, est rééditée à partir de cet été en intégrale de trois tomes. L’auteur propose ici un récit dont le dessin tout en lignes claires et les dialogues désinvoltes offrent une dramaturgie solaire et une aventure intérieure, portées par une part d’ombre et de mystères. Avec, en prime, hommages et clins d’œil à la bande dessinée américaine classique, à Hergé et au folklore de la zone 51.

Motor Girl, de Terry Moore, tome 1, Delcourt Comics, 250 pages, 19,99 euros.

  • « Mech Academy » : nos amis les robots

Casterman Paperback

Bienvenue à SkyCorps, une académie de cadets de l’armée où les recrues combattent avec des mechas, des robots extraterrestres géants. Soixante ans plus tôt, ces derniers, doués d’intelligence et de conscience, sont descendus sur Terre pour prêter main-forte aux humains qui se sont fait envahir par des Shargs, énormes et dangereux parasites qui veulent coloniser la Terre. C’est ici que Stanford Yu, un garçon de 12 ans, fils de la femme de ménage de la base, va voir son destin bouleversé lorsque Champion, un mecha, va le choisir pour faire équipe, au nez et à la barbe de l’élite de l’académie.

Choisi par Casterman pour inaugurer Paperback, sa nouvelle collection comics, Mech Academy est un bel exercice de syncrétisme, entre les codes du comics et la culture manga. Goldorak en tête, le mecha est un registre de SF inventé au Japon qui a eu parfois du mal à percer en Occident. Le scénariste et réalisateur américain Greg Pak, qui a notamment officié sur Planet Hulk, et le dessinateur canadien Takeshi Miyazawa, qui s’est illustré pour son travail sur Spider-Man ou Miss Marvel, rendent un bel hommage à ce genre tout en le rendant plus accessible. Ils en font une histoire d’amitié touchante doublée d’une ode au dépassement de soi.

Mech Academy, tomes 1 et 2, de Greg pak et Takeshi Miyazawa, Casterman Paperback, 104 pages, 14 euros.

  • « Midnight Tales » : sorcières du monde

Ankama

Avec son Label 619, Ankama a l’habitude d’installer des œuvres collectives convaincantes et des univers forts et foisonnants, à l’image de Doggy Bags, série hommage aux pulps et séries B américains. En mai, sous la supervision d’un de ses auteurs les plus remarqués, Mathieu Bablet (Shangri-La), les éditions ont lancé un nouvel univers, celui de Midnight Tales. Il en résulte une compilation de nouvelles graphiques et écrites autour d’un réseau secret historique et international de sorcières : l’Ordre de minuit. Des Etats-Unis à l’Inde en passant par la France ou l’Egypte, chaque courte histoire raconte comment de jeunes femmes d’horizons et classes sociales différents combattent des entités maléfiques.

Point fort de la série, au-delà de la grande diversité des héroïnes, Midnight Tales se réapproprie des mythes, des légendes d’épouvante urbaines ou des phénomènes paranormaux populaires. Tantôt pop, tantôt gothiques, selon les dessinateurs et dessinatrices, les récits indépendants se picorent ou se dévorent d’une traite, intercalés de notes documentaires sur les coutumes ou la mythologie empruntée.

Midnight Tales, tomes 1 et 2, collectif sous la direction Mathieu Bablet, Label 619 Ankama, 136 pages, 13,90 euros.

  • « Bloodshot » : surhomme en colère

Bliss comics

Bloodshot, c’est un peu Wolverine et Punisher enfermés dans le même corps, performances et tourments compris. Arme de guerre expérimentée et manipulée par l’armée, bombe à retardement émotionnelle, le superhéros tente de s’affranchir, se venger et recouvrer la mémoire. A l’affiche de plusieurs séries depuis les années 1990, ce personnage de l’univers superhéroïque de la maison d’édition américaine Valiant, bientôt incarné par Vin Diesel sur grand écran, a vu plusieurs de ses histoires publiées ces derniers mois en France.

Parmi les plus intéressantes, Bloodshot Salvation présente un nouveau pan de la vie du héros sous la plume de Jeff Lemire (Black Hammer, Descender). Bloodshot a repris son état civil, Ray Garrison, et a fondé une famille. En voulant protéger sa femme et sa fille, qui semble avoir hérité de ses caractéristiques surhumaines, le héros va se retrouver sur les traces d’une curieuse secte religieuse et redneck. Nul besoin, toutefois, d’avoir suivi toutes les séries ou d’être amateur de superhéros pour apprécier cet arc.

Bloodshot Salvation, tome 1, de Jeff Lemire, Mico Suayan, Lewis LaRosa, Bliss comics, 144 pages, 16 euros.