Retour du truculent Michael Moore sur le devant de la scène politique américaine. Jamais meilleur qu’en ces circonstances. Jamais pire non plus. On connaît l’oiseau de longue date, et il n’a rien changé à son chant de merle moqueur. Soit un cinéaste qui s’engage corps et biens dans ses films : du punch, de l’humour vache, des vérités qui font mal, l’incarnation, rare, d’une gauche américaine rendue inopérante par le système électoral. D’un autre côté, des facilités, des raccourcis, un récit maître qui ne tolère ni le doute ni l’incertitude, soit autant d’obstacles à une définition souhaitable du cinéma documentaire.

Quatorze ans après le colossal succès et la Palme d’or de Fahrenheit 9/11, brûlot anti-Bush réalisé dans le sillage des attentats du 11 septembre 2001 et avant l’élection présidentielle de 2004, Michael Moore inverse malicieusement les chiffres et repasse le couvert. Fahrenheit 11/9 prend cette fois pour cible Donald Trump, élu le 9 novembre 2016. De même, le film sort avant une échéance importante, celle des élections de mi-mandat, qui renouvelleront le Congrès américain le 6 novembre. Son propos est limpide, et sa démonstration dialectique.

Comment Donald Trump a-t-il réussi à se faire élire par le peuple américain ? Voilà la question posée dans le film. Le réalisateur, qui l’avait prédit plus tôt que tout le monde, y répond par un large faisceau d’arguments. Le secret du président consiste d’abord à exprimer publiquement, et avec fierté, l’abjection de ses opinions et de ses actes. Il n’a jamais été pris au sérieux par ses adversaires, Hillary Clinton en tête. La presse l’a vu comme une aubaine avant de comprendre sa douleur. Les élites démocrates se sont tiré une balle dans le pied en évinçant l’alternative d’une gauche représentée par Bernie Sanders. Par ailleurs, il semble manifester des pulsions incestueuses à l’égard de sa fille et pourrait soutenir la comparaison avec l’ascension d’Adolf Hitler dans l’Allemagne de Weimar.

Insuccès aux Etats-Unis

Des choses à prendre et à laisser, comme on le voit. Toute une partie du film, qui n’est pas la moins intéressante, renoue par ailleurs avec l’enquête de terrain qui permet de mieux comprendre le délitement de la société américaine et par extension les raisons de ce vote. Le stupéfiant scandale de l’eau contaminée à Flint, fort mal géré par le président Obama. Ou encore le mouvement anti-armes des lycéens de Parkland, victimes d’un énième attentat meurtrier en février, dénonçant la soumission des politiques au lobby des armes.

Un film totalement moorien au final, vigoureux et irritant, faiseur et citoyen, trash et intuitif, ne s’encombrant guère de souci esthétique

Film totalement moorien au final, vigoureux et irritant, faiseur et citoyen, trash et intuitif, ne s’encombrant guère de souci esthétique. Or le film n’a pas marché aux Etats-Unis. Sorti le 21 septembre dans 1 700 salles, il n’a rapporté que 3 millions de dollars (2,6 millions d’euros) le week-end de sa sortie, très loin des 23 millions de recettes encaissées sur la même période en 2004 par Fahrenheit 9/11, par ailleurs succès mondial. Les commentateurs américains avancent pour expliquer cet insuccès plusieurs arguments. La saturation médiatique de Donald Trump. L’attaque du camp démocrate qui aurait fait perdre au cinéaste une partie de son public. L’érosion enfin de sa stature, à une époque où l’activisme se diffuse par d’autres voies que le cinéma et d’autres figures que la sienne.

En tout état de cause, Fahrenheit 11/9 est un nouvel exemple de film qui ne sera pas vu en salle en France. A en croire Tristan du Laz, codirecteur de TF1 Studio, qui en a acquis les droits dès la fin du mois d’août lors de son avant-première au Festival de Toronto, cette décision n’a rien à voir avec les résultats du film aux Etats-Unis : « Nous avons d’emblée proposé au vendeur la solution d’une exploitation directe en VOD. Nous ne voulions par risquer les aléas d’une sortie en salle, devenue délicate et encombrée en France. Nous voulions être très réactifs et présenter le film au spectateur en collant à l’actualité des élections américaines. C’est un pari d’éditeur, et d’ailleurs le vendeur comme Michael Moore lui-même nous ont suivis en nous donnant la préférence. »

Fahrenheit 11/9 - Bande-annonce vostfr
Durée : 01:47

Documentaire américain de Michael Moore (2 h 08). Disponible en VOD à compter du 31 octobre. Sur le Web : fahrenheit119.com et michaelmoore.com