Simon Landrein

Ils sont dix, disséminés sur l’ensemble du territoire français. Cousins ou rivaux, ce sont les instituts d’études politiques (IEP). Un seul a le bénéfice de l’appellation Sciences Po sans cette précision qu’il est situé à Paris. Les autres doivent indiquer leur localisation géographique.

Dix établissements donc, mais quatre concours distincts ouverts aux élèves de terminale pour intégrer ces instituts. L’un rassemble les IEP d’Aix-en-Provence, Lille, Lyon, Rennes, Saint-Germain-en-Laye, Strasbourg et Toulouse, tandis que les IEP de Paris, Grenoble et Bordeaux ont chacun leur examen et leurs propres conditions d’admission. Eclairage sur l’histoire de cet imbroglio.

Longtemps, chaque IEP a organisé son propre concours. Un challenge pour les candidats qui devaient réviser les programmes spécifiques des instituts et jongler avec les dates et les lieux d’examen.

Les instituts d’études politiques sont créés par ordonnance en 1945 par Michel Debré, chargé par le général de Gaulle de la réforme de la fonction publique. Dans un pays centralisé, c’est sans surprise à Paris que s’ouvre l’Institut d’études politiques, en remplacement de l’Ecole libre des sciences politiques. Parallèlement, pour ne pas manquer l’occasion d’établir un nouveau symbole de la reconquête nationale, naît sans tarder celui de Strasbourg – dernière ville libérée par la 2e DB du futur maréchal Leclerc, en novembre 1944.

Après les pionniers, Il est temps de mailler le territoire national. En 1948, c’est au tour de Lyon, puis de Toulouse, Grenoble et Bordeaux de se doter d’une IEP. Aix-en-Provence suit en 1956. Géographiquement, les IEP penchent vers le Sud. Pour harmoniser une couverture géographique nationale suivront, en 1990, Rennes et Lille. Enfin, en 2014, l’IEP de Saint-Germain-en-Laye ouvre ses portes en région parisienne.

Longtemps, chaque IEP a organisé son propre concours. Un challenge pour les candidats qui devaient, pour se préparer, réviser les programmes spécifiques des instituts et jongler avec les dates et les lieux d’examen. Un tour de France des concours « impossible » à mener, témoigne une candidate de la fin du XXe siècle. Une impossibilité matérielle d’abord, qui oblige les postulants à sélectionner les IEP auxquels ils vont concourir, entraînant une baisse de qualité des candidatures pour les instituts les moins demandés.

« Déclassé »

Dès les années 1990, l’idée d’un concours commun émerge chez plusieurs directeurs d’IEP de province, qui y voient la possibilité d’ouvrir à un plus grand nombre de candidats de qualité les portes de leurs écoles. Mais le spectre d’un classement des instituts bloque ce projet. « Nous récupérerons les déçus de Paris et nous perdrons la maîtrise de notre recrutement », déclare en 1993 dans L’Express Michel Dietsch, qui dirigeait l’IEP de Strasbourg.

C’est en 2007 que Pierre Mathiot (alors directeur de l’IEP de Lille) porte l’idée d’un concours commun pour l’ensemble des IEP – Paris compris. La majorité des confrères acceptent, mais trois déclinent l’invitation : Paris, Bordeaux, qui veut conserver « la maîtrise de son concours », raconte Jean Petaux, en charge des relations extérieures et institutionnelles, et Grenoble, qui craint d’être « déclassé » en cas de concurrence avec les autres IEP, estiment plusieurs observateurs. Le concours commun est lancé à six en 2008. L’IEP de Saint-Germain-en-Laye le rejoindra après sa création, en 2013.

Appétence

La clé du fonctionnement du concours commun est qu’« il n’y a pas de hiérarchie, pas de concurrence entre les IEP, tient à souligner Pierre Mathiot, toujours enseignant à Lille. C’est un concours très sélectif où seulement 13 à 14 % des candidats sont reçus. Ceux qui sont sélectionnés sont très contents d’y être arrivés ».

Reste que l’appétence des candidats pour un IEP plutôt qu’un autre demeure chez les étudiants… Et que Paris domine toujours la mêlée. Lors du concours commun de 2018, 180 candidats reçus ont ainsi refusé l’admission, « la moitié parce qu’ils étaient pris à Paris », décompte Pierre Mathiot.

Une vingtaine a fait le choix de Bordeaux, validant sa stratégie de concours indépendant, avec des candidatures en hausse de 17 %. Une esquisse de classement place sans surprise Paris en tête. Bordeaux et Grenoble, en « s’intégrant au réseau commun, pourraient perdre la visibilité qu’ils ont en restant en marge. Cela pourrait objectiver un classement des élèves qui ne leur serait pas favorable », reconnaît Pierre Mathiot.