L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Trois ans, presque jour pour jour, après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris sort en salle le nouveau long-métrage de Mikhaël Hers, Amanda. L’histoire précisément de personnages dont la vie bascule à la suite d’une fusillade dans un parc de la capitale. La nature de l’événement ravive autant qu’elle la prolonge l’onde de choc de la tragédie. Elle dispense aussi au film un caractère dramatique que le cinéaste réussit à éprouver avec retenue et délicatesse. A cet endroit, néanmoins, s’arrête la correspondance que l’on pourrait vouloir établir entre Amanda et les faits ayant réellement existé.

Car si l’attentat sert bel et bien de point de départ et de cadre au film, il n’en constitue pas le sujet. Ce qui le conduit, c’est la mise en observation frontale du deuil – le travail des survivants et le chagrin. Thème que portait déjà le précédent film de Mikhaël Hers, Ce sentiment de l’été (2015), et que poursuit de façon plus radicale Amanda. L’ampleur de la catastrophe engageant ici, à la fois, l’individu et le collectif.

Si l’attentat sert bel et bien de point de départ et de cadre au film, il n’en constitue pas le sujet

Pour tous, Paris rayonne d’un beau soleil, en ce début d’été. Et David (Vincent Lacoste), 24 ans, porté par l’énergie de sa jeunesse, court comme un beau diable. ­Assure les petits boulots dont il a la charge tout en sachant se rendre disponible pour sa sœur, ­Sandrine (Ophélia Kolb), professeure d’anglais et mère célibataire d’une petite fille de 7 ans, Amanda (Isaure Multrier). Quand David doit aller chercher sa nièce à l’école, il court, jongle, arrive parfois en retard. Sandrine s’en offusque. Mais la complicité et l’amour qui unissent ces deux-là écourtent toujours le temps des reproches. Ces liens les ont aidés à surmonter, dès leur plus jeune âge, l’abandon d’une mère partie loin du foyer familial. Ils leur ­prêtent désormais la main pour combler, auprès d’Amanda, l’absence d’un père.

Quelques minutes de sidération

C’est dire le degré de violence auquel est soumis l’édifice, le jour où David découvre, au ­milieu de nombreuses autres victimes, le cadavre ensanglanté de sa sœur gisant sur une pelouse du bois de Vincennes, au point de rendez-vous qu’ils s’étaient fixé pour un pique-nique entre amis. Surgi dans la clarté d’une séquence bucolique, le tableau qui nous parvient à ­travers le regard du jeune homme apparaît étrangement irréel. Une vision onirique à laquelle le film suspend son vol, dans un silence assourdissant. Quelques minutes de sidération avant le retour à la réalité.

Au réveil, rien ne sera plus comme avant. Il va falloir annoncer à la petite fille la mort de sa mère. Il incombera aussi à David, dans l’immédiat, de s’occuper de sa nièce, et assez rapidement de se déclarer – ou pas – son tuteur. Dans ces urgences qui se heurtent au temps long du deuil, ­David marchera en trébuchant, sur un rythme en déséquilibre dont se fait écho le film, qui navigue entre différents états, concilie diverses cadences. Répétition des tâches quotidiennes, lenteur de la réparation, arrêt foudroyant de la douleur qui submerge avant le retour en pointillé des instants joyeux.

Mikhaël Hers prend soin d’arrimer son sujet à des lieux précis et à des séquences de la vie quo­tidienne

Mikhaël Hers compose avec ces mouvements contraires, comme au sein d’une symphonie dont l’unité se nourrit de l’intervention de tous les instruments. Laissant s’exprimer chacune des étapes traversées par David et Amanda. Le premier, à peine adulte, pressé, dispersé, emporté dans l’ivresse d’un amour naissant qu’interrompt l’attentat et lesté soudain d’une responsabilité trop lourde pour lui. La seconde, gamine aux rondeurs de poupon, mature avant l’âge, prisonnière d’un silence qu’elle doit combattre pour parvenir à s’ouvrir de nouveau. Ces deux êtres, dont on ne sait pas toujours lequel aide l’autre, apprennent à se connaître, à s’apprivoiser, à vivre ensemble, au creux d’un chagrin qui les pousse à grandir en accéléré.

Il n’est pas de remède miracle pour se sortir d’une telle épreuve. Il en existe en revanche pour préserver un film de l’ornière mélodramatique qu’un tel drame sous-tend. Mikhaël Hers en fait la démonstration dans Amanda, comme dans chacun de ses films, où il prend soin d’arrimer son sujet à des lieux précis et à des séquences de la vie quo­tidienne. A l’intérieur de cette ­citadelle dont il a posé les ­remparts, le cinéaste n’esquive ni ne tait rien.

Un art de l’ellipse

La détresse et les larmes de David au milieu de la foule grouillante d’une gare, la colère d’Amanda à propos d’une brosse à dents, les phases de découragement trouvent leur place, par touches successives, dans un panorama plus large qui emporte l’histoire vers un autre courant. Celui de Paris, où la vie continue, où les terrasses de café sont pleines, où les rues défilent à la grâce d’une promenade à bicyclette. Mais où, aussi, les choses ont changé.

Parcs fermés au lendemain de l’attentat, portiques de sécurité dans les lieux publics, présence militaire s’affichent comme les indices d’une époque dont le film se fait le témoin. Au même titre que la précarité, la multiplication des petits métiers, la location des appartements à la petite semaine, dont Mikhaël Hers a choisi de ne pas faire l’économie en situant Amanda dans les quartiers ­encore populaires du 12e arrondissement.

De ce climat de violence et de fragilité, le cinéaste tire une élégance qui lui est propre. Une pudeur qui se manifeste à travers un art de l’ellipse et de la respiration dont on ne peut que lui savoir gré. Ainsi voit-on dans ces échappées belles qui parcourent le film – sur les hauteurs de Périgueux ou dans l’enceinte de Wimbledon – le signe d’une politesse, une autorisation à souffler. Et c’est alors seulement, à l’issue de ce trajet commun, que Mikhaël Hers s’accorde enfin le lâcher-prise. Dans un ­final mélodramatique parfaitement assumé, où, sur le visage d’Amanda, s’inscrit, à travers les larmes et le rire, tout le chemin parcouru.

AMANDA bande-annonce sortie le 21/11/2018
Durée : 01:40

Film français de Mikhaël Hers. Avec Vincent Lacoste, Isaure Multrier, Stacy Martin (1 h 47). Sur le Web : distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-catalogue/amanda.html et www.nord-ouest.com/films/amanda

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 21 novembre)

  • Amanda, film français de Mikhaël Hers (à ne pas manquer)
  • Game Girls, documentaire allemand, américain et français d’Alina Skrzeszewska (à ne pas manquer)
  • After My Death, film sud-coréen de Kim Ui-seok (à voir)
  • L’Enfance d’un maître, documentaire français de Jeanne Mascolo de Filippis et Bruno Vienne (à voir)
  • Hard Eight, film américain de Paul Thomas Anderson (à voir)
  • Terra Franca, documentaire portugais de Leonor Teles (à voir)
  • Aga, film allemand, bulgare et français de Milko Lazarov (pourquoi pas)
  • The Mumbai Murders, film indien d’Anouragh Kashyap (pourquoi pas)
  • Trois petits rêves, film français et tadjik de Chapour Haghighat (pourquoi pas)
  • Yomeddine, film égyptien d’Abu Bakr Shawky (pourquoi pas)
  • Les Bonnes Intentions, film français de Gilles Legrand (on peut éviter)
  • Les Filles du soleil, film belge, français, géorgien et suisse d’Eva Husson (on peut éviter)

A l’affiche également :

  • Le Fils du désert, film français et marocain de Laurent Merlin
  • Mauvaises herbes, film français de Kheiron
  • Michel Vaillant, le rêve du Mans, documentaire français de Frédéric de Brabant
  • Mimi & Lisa, les lumières de Noël, film d’animation slovaque de Katarina Kerekesova et Ivana Sebestova
  • #Moscou-Royan, film français d’Elena Cosson Kizilova
  • Overlord, film américain de Julius Avery