La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Chaque mercredi dans « La Matinale », les critiques du « Monde » présentent les meilleurs films à découvrir sur grand écran.
LES CHOIX DE LA MATINALE
En attendant la vague des divertissements de fin d’année, l’offre automnale reste consistante. Des fantaisies footballistiques des Américano-Portugais Abrantes et Schmidt aux premiers pas de Steve McQueen dans le film de genre, en passant par la métamorphose d’une boulangerie industrielle en décor pour sitcom subversive, les raisons de braver les frimas ne manquent pas.
« Diamantino » : portrait du footballeur en icône kitsch
DIAMANTINO - bande annonce
Durée : 01:53
Entre inspiration hétéroclite et désinvolture assumée, Diamantino fait feu de tout bois et se présente comme un grand cirque d’images. Les réalisateurs Abrantes et Schmidt ont eu l’idée féconde de faire vivre à l’écran une figure rarement approchée par le cinéma, celle du footballeur professionnel, drôle de créature médiatique qui concentre sur elle une foule de passions populaires et d’intérêts commerciaux.
Diamantino Matamouros (Carloto Cotta, aperçu dans Les Mille et Une Nuits et Tabou, de Miguel Gomes) est une figure de proue de la Seleçao portugaise, dont le génie suscite l’engouement national. Mais c’est aussi un grand benêt au cœur d’or, qui croise le chemin d’une fausse réfugiée, Aisha (Cleo Tavares), qui est en fait une enquêtrice des services secrets venue plonger le nez dans ses finances.
Elle découvre un Diamantino innocent, instrumentalisé par ses sœurs dans des opérations douteuses. Un tel récit, dont la drôlerie joue sur la naïveté complète de son protagoniste, n’a évidemment rien de très sérieux, mais ne se refuse pourtant pas une forme de profusion qui maintient l’intérêt à flot. Mathieu Macheret
« Diamantino », film portugais, français et brésilien de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt. Avec Carloto Cotta, Cleo Tavares, Anabela Moreira, Margarida Moreira (1 h 32).
« A Bread Factory, Part 1 : Ce qui nous unit » : la comédie humaine de l’action culturelle
A BREAD FACTORY trailer
Durée : 03:08
Si c’était un chien, A Bread Factory serait le croisement harmonieux et attachant de races a priori incompatibles, berger allemand et lévrier, caniche et pitbull…
Patrick Wang, cinéaste indépendant américain, propose un film fleuve de quatre heures, divisé en deux parties – la première sort ce 28 novembre, la seconde est attendue le 2 janvier –, à la fois comédie de manières, œuvre militante et assemblage d’expériences esthétiques. Au long de ce grand spectacle aussi ambitieux (dans son propos) que modeste (par ses moyens), on assistera à la lutte à mort entre la culture qui unit les citoyens et l’art qui divise les classes, aux manigances qui font le quotidien d’un conseil municipal, aux débuts dans la presse d’un adolescent qui se laisse distraire par sa première passion amoureuse. Entre manifeste et sitcom, Patrick Wang s’est ménagé un espace dans lequel on s’installe avec délice. Thomas Sotinel
« A Bread Factory, Part 1 : Ce qui nous unit », film américain de Patrick Wang. Avec Tyne Daly, Elisabeth Henry-Macari, Janeane Garofalo, Brian Murray (2 h 02).
« Les Héritières » : Asuncion mon désamour
LES HÉRITIÈRES Bande Annonce (2018) Drame
Durée : 02:03
Ce premier long-métrage d’un cinéaste paraguayen commence par les signes d’une débâcle. Dans un intérieur bourgeoisement décoré, des étrangers évaluent meubles et vaisselle sous l’œil résigné d’une sexagénaire dynamique. Dans la pièce voisine, une autre femme, à peu près du même âge, ne fait qu’entendre les échos de la transaction – le film est placé sous le signe d’une lenteur délibérée, presque toujours justifiée. On comprend qu’elles sont amantes, qu’elles ont vécu des années sur la rente de la recluse, Chela, qui se veut artiste peintre, et qu’elles sont aujourd’hui prises à la gorge.
Marcelo Martinessi met en scène la défaite de cet amour avec délicatesse et finesse, dévoilant progressivement les lignes de force d’une histoire qui acquiert de nouvelles nuances à chaque chapitre.
Contrainte de sortir de son lit par l’incarcération pour dettes de sa compagne, la dépressive est contrainte à l’autonomie. Le réalisateur conduit son récit avec une grande délicatesse, jouant du contraste entre la brutalité des rapports sociaux et la douce médiocrité de la vie domestique de Chela, dont l’interprète a obtenu le prix d’interprétation à la dernière Berlinale. T. S.
« Les Héritières », film paraguayen de Marcelo Martinessi, avec Ana Brun, Margarita Irun, Ana Ivanova (1 h 38).
« Les Veuves » : le noir sied à Steve McQueen
Les Veuves | Nouvelle Bande-Annonce [Officielle] VOST HD | 2018
Durée : 02:24
Jusqu’ici, la carrière de cinéaste de Steve McQueen, ci-devant étoile de l’art contemporain, était tout entière consacrée au martyre – désiré dans Hunger, auto-infligé dans Shame, subi dans Twelve Years a Slave. D’où la surprise, parfois proche du désarroi, de le voir s’aventurer sur le terrain du heist movie (« film de casse »), généralement associé aux plaisirs éphémères.
Sur un scénario de Gillian Flynn (Gone Girl, Sharp Objects), le Britannique négocie une trajectoire périlleuse, entre la fidélité à ses obsessions et le désir d’embarquer les spectateurs dans une histoire aussi excitante qu’invraisemblable.
S’il parvient, malgré quelques faux pas, à ses fins, c’est grâce à un ensemble inédit au cinéma, où les femmes – emmenées par Viola Davis – se tiennent au premier rang, où les hommes, et non des moindres (Liam Neeson, Colin Farrell, Robert Duvall, Daniel Kaluuya, découvert dans Get Out…), restent un peu en retrait.
Multipliant les personnages (politiciens, femmes de toutes conditions) et les lignes de récits, Steve McQueen doit jongler avec trop de balles, aussi virtuose soit-il. La mécanique du récit du casse en souffre, mais ce n’est pas si grave puisque l’on croit aux personnages, de la veuve que joue Viola Davis aux dehors impériaux, aux entrailles tordues de douleur, au politicien de Robert Duvall, patriarche confit dans la haine. T. S.
« Les Veuves », film américain de Steve McQueen. Avec Viola Davis, Elizabeth Debicki, Michelle Rodriguez, Colin Farrell, Liam Neeson, Robert Duvall (2 h 09).
Naomi Kawase au Centre Pompidou : naissances d’une cinéaste
Naomi Kawase | Cinéma | Centre Pompidou
Durée : 00:31
De la réalisatrice japonaise, on connaît surtout les longs-métrages de fiction les plus récents, sélectionnés dans les grands festivals, de Shara (2003) au Voyage à Yoshino, qui sort ces jours-ci, en passant par La Forêt de Mogari (2007) ou Les Délices de Tokyo (2013).
La rétrospective que propose Beaubourg permettra de tous les revoir, et – peut-être – de regretter que la vigueur animiste des premiers se soit dissipée au profit d’un mysticisme plus convenu. Mais cette programmation, accompagnée de l’exposition de deux installations, propose aussi et surtout d’embrasser l’œuvre documentaire de Naomi Kawase.
La cinéaste a su mettre en scène sa propre intimité de mère (Naissance et maternité), explorer sa généalogie (la trilogie qu’elle a consacrée à sa grand-mère) et aller jusqu’aux frontières de la mort dans le film bouleversant qu’elle a tourné (à la demande de l’intéressé) pendant l’agonie de son maître, le photographe Kazuo Nishii. Cette programmation est jumelée avec celle consacrée au cinéaste et plasticien espagnol Iñaki Lacuesta. T. S.
Cinéastes en correspondance : Naomi Kawase et Iñaki Lacuesta. Du 23 novembre au 7 janvier 2019. Centre Pompidou, Paris 4e.