Le crash commercial des drones de loisir
Le crash commercial des drones de loisir
Par Jean-Michel Normand
Ces caméras volantes ne sont pas devenues des biens de consommation de masse.
Un drone de loisir de la marque DJI. / Kin Cheung / AP
Après les consoles de jeu et les caméras vidéo portables, ce devait être la nouvelle coqueluche des produits high-tech familiaux. Un appareil photo volant, facile à utiliser et d’une redoutable efficacité, promis à s’installer durablement au pied du sapin de Noël. Ces brillantes perspectives que laissaient entrevoir la croissance jusqu’alors ininterrompue des ventes se trouvent brutalement compromises. Mise en lumière par la très mauvaise passe que traverse Parrot, qui devrait creuser 100 millions d’euros de pertes cette année, la dégringolade des drones de loisir sonne la fin d’un cycle.
Selon les panels constitués par Gfk et NPD, la décroissance annuelle (troisième trimestre 2018 comparé au troisième trimestre 2017) des ventes de modèle compris entre 500 et 800 euros, situés au cœur du marché, atteint 33 % en valeur sur l’ensemble des principaux pays européens (France, Royaume-Uni, Allemagne). Aux Etats-Unis, elle atteint 56 %. La France est le seul pays où les ventes demeurent bien orientées (+ 12 %) mais jusqu’à quand ? Même si ces chiffres ne prennent pas en compte les ventes réalisées via Internet, ils traduisent ce qu’il faut bien appeler un crash commercial.
Le chinois DJI, numéro un mondial des drones (70 % des ventes mondiales), qui ne communique ni sur son chiffre d’affaires ni sur ses ventes, ne fait aucun commentaire sur ces données. On remarque toutefois que ses promotions de fin d’année sont particulièrement agressives alors qu’il n’y a guère de concurrence face à lui. DJI vient d’ailleurs de lancer en très grande pompe Osmo Pocket, une caméra stabilisée qui tombe à point nommé pour lui permettre de diversifier son activité.
Une démocratisation inachevée
Faute d’avoir impulsé une réelle démocratisation du produit – la mode des quadricoptères à une centaine d’euros, délicats à piloter, mal stabilisés et disposant d’une caméra guère performante, n’aura été qu’un feu de paille –, les fabricants n’ont pas pu installer très longtemps leurs appareils dans la short list des consommateurs. Ils n’ont pas su séduire au-delà du cercle des amateurs de produits high-tech et ont totalement échoué à s’adresser à un public féminin.
« On assiste à une saturation du marché des drones de loisir. Le public – généralement des CSP + – déjà équipé n’a pas forcément envie de renouveler tous les ans son achat », constate Laurent Wilk, responsable du secteur Cleantech chez Invest Securities. « Améliorer à la marge la qualité des photos n’est pas suffisant ; il faudrait une véritable innovation de rupture pour que le marché redécolle », estime-t-il. Le durcissement des réglementations (en France, un particulier doit désormais se soumettre à une épreuve en ligne de QCM pour faire voler un drone de plus de 800 grammes et devra bientôt déclarer son appareil) et peut-être aussi les craintes sécuritaires plus ou moins fantasmées que font naître les drones n’ont pas non plus favorisé leur essor.
« Le drone de loisir n’est pas un produit de masse », assène Alexandre Maupas, le patron de Studiosport, distributeur spécialiste du drone et de l’image, basé à Rouen. « Nos clients sont des passionnés de photo et de vidéo qui viennent avec leur sac à dos, leur Reflex numérique, leur perche et leur GoPro. Pour eux, un drone constitue un outil parmi d’autres. »
« L’intérêt de faire voler un quadricoptère, poursuit-il, ce n’est pas le pilotage – le vol est parfaitement assisté par l’électronique –, mais la capture d’images. Cela ne le destine pas au très grand public. »
Bref, le mirage du drone de loisir familial, prolongement naturel de la caméra vidéo portable, s’est perdu dans les sables malgré les perfectionnements parfois spectaculaires dont il a été bénéficiaire (vidéo en 4K, systèmes d’évitement d’obstacles, stabilité à toute épreuve, retour autonome au point de décollage…).
Evoluer pour perdurer
David Bennaroch, fondateur et animateur de DJI Le Forum, ne partage pas cette analyse. Selon lui, « le drone de loisir va perdurer, car il va évoluer. » « Il demeurera tout aussi sophistiqué et se miniaturisera encore davantage, mais il va devenir un peu moins performant, notamment en matière de portée et de charge embarquée. Du coup, il fera moins figure d’épouvantail. » L’avenir du drone de loisir passe aussi par des prix tirés vers le bas.
Si sa capacité à accéder au statut de bien de grande consommation fait débat, personne ne doute, en revanche, de l’avenir du drone en tant qu’outil destiné à des usages professionnels. Un domaine dont le chiffre d’affaires décolle moins vite, mais dont la pérennité ne semble guère faire de doute. « L’audiovisuel reste le secteur le plus demandeur, mais nous voyons venir à nous de plus en plus de géomètres, de services de sécurité ou d’assistance mais aussi des professions du bâtiment », assure-t-on chez Studiosport. A l’avenir, on devrait donc voir voler plus de drones professionnels, dans des conditions d’utilisation a priori bien encadrées, que des drones de loisir, dont la prolifération risquerait sans doute de poser plus de problèmes.