A Paris, la stratégie budgétaire d’Anne Hidalgo suscite des doutes
A Paris, la stratégie budgétaire d’Anne Hidalgo suscite des doutes
Par Béatrice Jérôme
Si le budget 2019 a été voté lundi, le choix fait par la maire de la capitale du recours à l’emprunt continue d’alimenter les critiques et l’opposition dénonce une « fuite en avant ».
L’heure de la rupture a sonné. A quinze mois des élections municipales, le divorce est prononcé entre Anne Hidalgo et les élus macronistes qui, pour la première fois, ont été quasi-unanimes à voter contre le budget 2019, lundi 10 décembre. Sur 163 conseillers de Paris, seuls 85 ont voté pour le budget. 69 élus ont voté contre, un seul s’est abstenu et huit n’ont pas participé au scrutin.
La maire de Paris peut se rassurer en soulignant qu’elle n’a connu aucune défection dans les rangs des élus socialistes, écologistes, communistes, hamonistes, radicaux de gauche et ex-centristes qui composent l’arc majoritaire. Mais, elle n’a pas calmé l’inquiétude qui monte – y compris au sein de la majorité – sur les marges de manœuvre financières de la capitale au terme du mandat en cours.
En 2014, Mme Hidalgo avait fixé un cap ambitieux qu’elle s’est prévalue, lundi, d’avoir maintenu. « Paris a fait le choix d’investir 10 milliards d’euros entre 2014 et 2020 avec une stabilité de la fiscalité locale directe au service du pouvoir d’achat des Parisiens », s’est-elle félicitée. Les investissements avaient été de quelque 9,4 milliards d’euros sous le dernier mandat de Bertrand Delanoë.
« Dette galopante »
Le budget 2019 qui s’élève à plus de 9,8 milliards d’euros prévoit un programme d’investissement record de 1,7 milliard. Or, depuis 2014, le recours à l’emprunt a été massif. Il a conduit à une hausse de la dette « très conséquente », a reconnu Emmanuel Grégoire, premier adjoint, chargé des finances. D’un milliard d’euros en 2001, l’endettement est passé à 3,7 milliards en 2014. Il est de 5,7 milliards d’euros à ce jour et sera de près de 6,5 milliards en 2020.
Comme à chaque débat budgétaire, les élus de droite et du centre n’ont pas manqué de dénoncer « une dette galopante » selon Florence Berthout, présidente du groupe Les Républicains (LR) et indépendants ; un budget qui laissera « la facture aux générations futures » selon Eric Azière, patron du groupe UDI-Modem et qui conduira à une « inévitable hausse des impôts pour les Parisiens en 2020 », selon Pierre-Yves Bournazel, député Agir qui siège sans étiquette au conseil de Paris.
Les élus LR et centristes ont vu leur position alarmiste confortée par une note interne au cabinet de Mme Hidalgo révélée par Le Figaro, le 18 novembre. Datée du 20 décembre 2017, signée de l’ancienne conseillère budgétaire de la maire, cette note alerte l’exécutif parisien sur le « ressaut des remboursements d’emprunt à partir de 2021 ». Elle indique que la ville devra rembourser « près de 300 millions d’ici 2021 contre 200 millions par an depuis 2014 » et « même 300 à 400 millions entre 2030 et 2040 ». La conseillère explique que « les annuités de remboursement (…) déjà très élevées de 2021 à 2040 » limiteront « notre capacité à nous endetter » et rendra « très contraint » l’investissement public de la ville après 2020.
Le recours à l’emprunt est « choisi, assumé et maîtrisé », a répliqué M. Grégoire. La capitale dispose d’un patrimoine cessible de 31 milliards d’euros qu’elle pourrait vendre pour rembourser ses dettes, a-t-il fait valoir en rappelant les excellentes notes attribuées à la ville par les agences de notation financières. Mais un autre signal inquiétant est apparu dans le débat. L’opposition a fait feu sur « l’artifice comptable » des « loyers capitalisés » qui, selon M. Bournazel, permet à la ville d’« utiliser l’argent des bailleurs sociaux comme une machine à cash pour boucler » son budget.
« La force des habitudes »
De fait, au lieu d’engranger uniquement le produit annuel des loyers des HLM dans ses recettes, l’exécutif municipal a demandé aux bailleurs sociaux depuis 2016 de lui verser par avance le montant des baux calculés sur une durée de plus de soixante ans. Elle aura ainsi engrangé 1,1 milliard d’euros réparti par tranche sur cinq ans. Mais ce mécanisme arrive à épuisement après 2020. Or, cette manne a non seulement compensé la baisse des dotations de l’Etat sous François Hollande, mais elle a aussi permis d’équilibrer les dépenses de fonctionnement tout en laissant la ville recourir à l’emprunt comme variable d’ajustement de ses investissements. Dénonçant « cette fuite en avant » budgétaire, les dix élus transfuges de la droite parisienne réunis au sein du groupe Parisiens, progressistes, constructifs et indépendants (PPCI) ont voté contre le budget.
A ce cortège d’opposants se sont ajoutés aussi pour la première fois, les six élus Macron-compatibles de gauche réunis au sein du groupe Démocrates et progressistes. A leur tête, Julien Bargeton, ancien adjoint aux finances de Mme Hidalgo et sénateur La République en Marche, a déploré que « la seule ligne de force » du budget 2019 soit « la force des habitudes ». « Pour être ambitieux, tout en gérant sérieusement, il faut faire des choix, en hiérarchisant les priorités. Je sais ce que l’on dira, que j’ai été adjoint aux finances. Mais justement, cela m’a donné l’expérience pour voir ce qu’il faudrait faire. »
Son vote négatif lui a valu les reproches de Jean-Louis Missika, adjoint à l’urbanisme d’Anne Hidalgo. « M. Bargeton a été adjoint aux finances pendant quatre ans et donc coresponsable de la trajectoire budgétaire. Ce vote contre est inélégant et inutile. » Rallié au groupe de M. Bargeton, depuis qu’il a démissionné le 5 novembre de son poste d’adjoint à la propreté, Mao Péninou s’est lui abstenu sur le budget. « J’ai des désaccords mais qui ne justifient pas un vote contre », explique l’élu LRM.
Enfin, même si les socialistes ont tous voté le budget, plusieurs ne cachaient pas leurs craintes pour l’avenir. Après 2020, la ville va subir un « effet ciseaux entre la hausse des remboursements de la dette et la fin des recettes des loyers capitalisés », s’inquiétait un élu PS. « J’ai voté pour mais sans conviction », glissait Roger Madec, ex-sénateur PS et soutien de M. Macron en 2017.
« Ce n’est plus de la politique, c’est de l’épicerie »
Premier adjoint (PS) d’Anne Hidalgo jusqu’à sa démission fracassante le 17 septembre, Bruno Jullliard assure avoir voté le budget « par responsabilité en raison de l’incertitude qu’aurait engendré un rejet », dit-il. M. Julliard n’en ressent pas moins « la plus grande inquiétude quant aux perspectives budgétaires insoutenables pour les années à venir ».
A l’inverse, en acceptant bon nombre de leurs amendements, Mme Hidalgo a plutôt rassuré les élus écologistes, communistes et hamonistes. « On a demandé énormément et on a obtenu beaucoup dans ce budget », se félicite David Belliard, président du groupe EELV. Les communistes se sont vus promettre par l’exécutif que des mesures en faveur de la gratuité des transports, notamment pour les jeunes, seraient annoncées début 2019. « Entre la maire de Paris et les groupes de sa majorité, ce n’est plus de la politique, c’est de l’épicerie », ironisait M. Azière, le patron du groupe UDI-Modem.
Au vu du vote final, il n’y a donc pas péril en la demeure, expliquaient les adjoints de la maire de Paris. « Tout le monde disait qu’Anne Hidalgo ne finirait pas sa mandature, confiait M. Missika. Elle réussit à faire adopter un budget qui respecte le contrat demandé par le gouvernement sans augmentation d’impôts. » Mais dans les couloirs, un élu PS se montrait pessimiste : « Il est peu probable que la majorité tienne jusqu’au bout du mandat. »